seulement la mer
quand aura disparu toute trace de civilisation
sur le rivage noirci par la main vengeresse des ombres
seulement la mer
reflétée derrière l’ouvrage du tisserand
à travers le tissu jauni par un coin de lune
seulement la mer
poursuivie par des milliers d’yeux glacés
qui n’ont de la vie que le scintillement passé
et l’éclat d’un jour fané
à travers la lucarne je vois filer l’aurore chétive
s’assécher les pores de ma peau
les papilles de ma langue
s’évanouir la douceur sucrée et le sel de mes désirs
il ne reste rien
seulement l’amer
ouvrir la porte
sur l’herbe qui tremble
et l’on distingue des formes
prostrées
d’êtres sans visage
d’êtres sans nom
les muscles tendus à l’affut d’un souffle
infime
un éclat de cendre
luit sur leurs crânes blafards
on dirait qu’ils n’ont jamais vu le jour
ils n’ont pas choisis d’être là
ces ombres
délabrées
des âmes interchangeables
aux chairs lacérées
derrière les barbelés
ils lèvent encore les yeux vers une lune
brûlante
rêvent
d’apostropher l’espérance de vive voix
traverser alors le lac lointain
lent
et
se brûler les ailes
c’était inévitable
souvenons-nous d’Icare
(image de présentation : Patrick Peney)