Jour 1 – Le concert
Cela fait des mois que j’en chie des ronds de carrés, je ne peux pas être plus claire. Mais aujourd’hui est le début de ma descente aux enfers. Une longue semaine m’attend. Ce soir, il va donner un concert avec son groupe. Il, c’est le chéri avec qui je vis depuis deux ans. Ce soir, il joue avec celle qui a fait partie sa vie pendant quinze ans. Ce soir, il partage sa passion avec cette personne qui restera une étrangère pour moi. Tout comme lui d’ailleurs. Il restera un étranger pour moi malgré ce que nous avons vécu. Je vais y aller à ce concert, j’en ai le ventre retourné depuis au moins une semaine, mais je vais y aller. Je veux me prouver que je peux gérer, que ça ne me fait rien de les voir au diapason tous les deux.
Le concert démarre. J’ai le bide serré comme jamais. Ou plutôt comme à chaque fois que je les vois jouer ensemble. Ils ne sont pas seuls sur scène mais on dirait qu’il n’y a qu’eux. Ou alors c’est moi qui débloque. Encore une fois, comme il aime à me le répéter.
Les chants et instruments finissent par se taire. Pas la voix dans ma tête. Je vais les féliciter, bonne poire que je suis et puis je rentre chez moi, chez nous, chez lui, je ne sais plus. Epuisée. De plus en plus épuisée.
Jour 2 – La dispute
L’aurais-je provoquée celle-là ? Probablement. Sûrement. Je sais inconsciemment que le sujet que je vais lancer va faire mal. Et encore « va faire mal ». En y repensant, un sujet tellement évident pour deux personnes qui souhaitent construire un bout de chemin ensemble. Je me lance dans la gueule du loup : « Chéri, j’aimerais que tu envisages de fermer votre compte commun bancaire avec ton ex. J’aimerais construire une vie avec toi. Cela fait longtemps que vous êtes séparés et pourtant vous gardez ces connexions, je t’en prie ».
J’ai eu la plus romantique des réponses : « C’est ma vie, je fais ce que je veux. Si tu n’es pas contente, tu n’as qu’à dégager de chez moi ». Oui, parce qu’à ce moment-là, je suis chez lui. Ce n’est pas la première fois que j’ai le droit à ce genre de remarque. La fois où j’ai voulu changer de matelas, et que je me suis pris dans la tronche qu’il valait mieux que je me fasse opérer car pour lui tout allait bien. Ou encore cette fois où… mais à quoi bon, c’est encore une énième dispute où je passe pour la pire des connes. Le pire étant que je finis par culpabiliser car il réussit à me faire passer pour folle, j’ai l’impression d’être folle. Je ne sais plus qui je suis. Je ne me reconnais plus. Cela fait des mois que ça dure. Je ne sais plus qui je suis et je suis épuisée. Toujours un peu plus épuisée…
Jour 3 – L’apéro avec l’ami qui vous veut du bien
Je me réveille encore cassée de l’entretien de la veille, avec cette fatigue qui n’en finit pas. Ma journée est longue, je cogite, je pense et repense à telle ou telle façon dont j’aurais pu ou dû m’y prendre avec lui. Je culpabilise, je me remets en question, je lui envoie des messages. Je suis perdue mais je ne m’en rends pas compte. Comme un coup de sang, j’envoie un message au copain, celui qui me dit depuis le début que cette relation n’est pas pour moi. Il me répond dans la foulée et nous décidons de nous voir le soir même. L’apéro se passe bien. Comme à chaque fois avec lui. Il est bienveillant, on rigole. Mais aujourd’hui, je pleure. Dès le premier verre. Je me sens mal. De plus en plus mal. Rien que de l’écrire, j’ai l’émotion qui refait surface. Et là, il sort de ses gonds et me dit le fond de sa pensée. Il ne reconnaît plus sa pote. D’ailleurs des amis en commun m’ont croisée et me trouvent vieillie. C’est con mais ça me touche, un peu comme un coup de foudre. Mais à l’envers. Ça me blesse. Mais il a tellement raison. Sauf que… Je finis par rejoindre le Chéri. Je suis fatiguée, usée, il me pousse à bout une dernière fois. Ou moi comme il me l’a dit ? Je ne le saurai jamais. Je bois, je bois. Je claque la porte et je prends la voiture. Ivre… et épuisée…
Jour 4 – Chez les parents
J’arrive au petit matin chez les parents. Je sonne, et je sonne… Ma mère m’ouvre, je fonds en larme dans ses bras. Et là, va se passer quelque chose d’unique et troublant à la fois. Je vais tout leur raconter. Tout. Pendant des heures. Et je pleure, et je parle et je pleure à nouveau. Je largue tout. Je raconte tout ce que je vis depuis deux ans. Visiblement, il n’y a que moi qui suis surprise. Ils ne sont pas étonnés. Je dis « ils » car mon père est venu se joindre à la conversation. Enfin, quand je dis conversation, c’est monologue. Je ne m’arrête plus de parler. Je leur raconte tout sans tabou. Et je sais qu’en faisant cela, il n’y aura pas de machine arrière.
Seulement, je dors quelques heures entre deux. Je me réveille avec la culpabilité. Je sais que j’ai foutu en l’air le seul espoir qu’il restait pour mon couple. Notre relation est foutue. Il m’en voudra à vie de ce que j’ai fait, c’est certain. Et je rentre à nouveau dans le cycle infernal. Je cogite, je me sens mal, je veux récupérer le coup. Parce que je l’aime ce con. Je l’aime tellement.
Je finis par rentrer chez moi. Il n’est pas là. Je l’appelle. Il ne répond pas. Je me sens mal, encore plus mal. J’essaie de dormir. Impossible. Je ne ferme pas l’œil jusqu’à ce qu’il rentre bourré et m’ignore. Je suis vraiment épuisée…
Jour 5 – L’accident
Je me réveille, éteinte. Désespérée. Je ne sais plus quoi faire. Il est dans le canapé. Il dort, se réveille et fait semblant de ne pas me voir. Je décide d’aller sur le marché malgré la fatigue qui me plombe, m’accable. Je veux lui ramener le petit déjeuner pour lui faire plaisir. Pour qu’il se rende compte qu’on n’a pas tout perdu.
Je fais mon tour, j’achète ce qu’il faut et surtout je lui envoie un message pour qu’il m’attende. Je veux lui faire plaisir. Il m’attend. Génial, on va pouvoir parler un peu.
Je remonte la rue et là, une voiture passe devant moi. Une fois qu’elle est passée, je me mets à traverser. Sauf que je ne vois pas qu’elle se met à reculer brutalement. Je la vois se précipiter sur moi et rapidement me percuter une première fois. Je me retrouve au sol et je hurle tout ce que je peux. Mais elle continue de reculer et me roule sur la jambe. Je me vois me faire écraser, je hurle toujours et ça continue. Grâce aux passants, le conducteur finit par arrêter son véhicule. Je suis assise au sol. Je tiens les jambes et je crie : « Mes jambes, mes jambes ! »
Une chance, une amie est là. Je lui tends mon téléphone et lui somme d’appeler mon Chéri. Il arrivera sûrement quelques minutes après. Je le vois. Je pleure et je m’excuse de m’être faite écrasée. Et puis plus rien. Sûrement trop épuisée…
Jour 6 – Retour à la maison
Je me réveille à l’hôpital. Je ne comprends plus rien. Mon premier réflexe est demander si j’ai trop picolé dans une soirée. Magique… Passé ce moment, je reprends mes esprits. J’ai mal partout. Le verdict n’est pas mauvais : le thorax enfoncé et le péroné cassé. Je peux rentrer chez moi.
Magique aussi ce retour aussi chez moi. Enfin, chez nous, chez lui. On s’en fout, je suis en vie.
Ma jambe me brûle et pour cause : le frottement de la roue avec mon jeans sur ma peau, ça a fait une belle brûlure. Ma mère, infirmière, vient me faire les premiers soins. Je pleure. Encore. J’ai tellement mal. Le pansement est resté collé sur la plaie qui plus est. Elle s’efforce de faire son maximum et en douceur. Elle assure. Elle prend soin de moi, tout comme le Chéri qui fait aussi comme il peut. Une fois ma famille partie, il se hâte de me lâcher un : « J’ai jamais vu une fille de ton âge pleurer pour un bobo pareil. » Je pleure, à nouveau. J’ai mal. Je ne sais plus où j’ai mal, tellement j’ai mal. J’ai mal au corps mais j’ai tellement mal à l’âme. Je suis broyée. Comment continuer ainsi. Il faut que cet accident me serve de leçon.
Le soir, je tente encore un rapprochement. J’aimerais qu’il me serre dans ses bras. Il se braque et va dormir dans le canapé. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Je suis épuisée, mais enfin décidée.
Jour 7 – Le départ
C’est un peu comme ces matins où on se réveille et on ne sait pas pourquoi mais on sait qu’il va se passer quelque chose. Pourtant, je suis encore tellement mal en point. Mais, je n’en peux plus. Mon corps cède, mon mental est au plus bas. Je sais que je peux y arriver malgré tout. Mes amis et ma famille sont là. Le souvenir de ma sœur me pleurant dans les bras, il y a quelques mois me revient. Ma sœur est froide au possible mais ce soir-là, j’avais lâché tout ce que je vivais à l’en faire pleurer et me serrer dans ses bras. J’ai commencé à me poser des questions… Et de fil en aiguille, et surtout l’accident récent…
J’appelle ma sœur. Je suis prête. Le temps que je prépare quelques affaires, elle est là à m’attendre sur le parking. Elle est là pour moi pour me recueillir chez elle. Je rentre dans la voiture. J’ai sauté la pas. Je ne sais pas dire comment je me sens à ce moment-là. D’après elle, à voir mes traits, je suis soulagée. Je me sens vidée. Mais au fond, je sens que j’ai fait le bon choix. Le chemin va être très long pour récupérer physiquement et mentalement. Je le sens. Je me sens ailleurs. Je suis déroutée. Je me sens déroutée, perdue, mais je me sens moins épuisée. J’ai pris la bonne décision. Ma petite voix intérieure va enfin pouvoir s’exprimer à nouveau…
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