Jour 1
Marc me regarde avec inquiétude, il me dépose à l’aéroport m’embrasse et me demande de faire attention. Il est vrai, que je ne suis pas une personne aventurière, que j’aime mon petit confort mais surtout que j’ai peur de tout. J’ai peur de la vie, j’ai peur de la mort, j’ai peur des gens j’ai peur d’être seule mais pas aujourd’hui. Tout a commencé il y a deux mois. J’ai perdu mon travail, je l’aimais bien, je pense, je me suis jamais vraiment posé la question. J’ai donc décidé de partir, d’essayer de me trouver, d’essayer de comprendre ma vie et de comprendre qui je suis. J’ai fais garder mes chats, j’ai trouvé un locataire pour mon appartement, j’ai dit au revoir à quelques amis, fait un sac et pris un billet d’avion. Maintenant nous y sommes. Impossible pour moi de faire demi-tour, je suis à l’aéroport à destination de Guadalajara. Pourquoi cette ville ? C’est une bonne question. Le nom de cette ville m’a toujours fait rire. C’est loin. Je ne connais personne. C’est une bonne destination pour se trouver. Aujourd’hui il pleut énormément, les orages ne vont pas tarder à arriver. Je me demande si c’est vraiment le bon moment de partir avec cette météo monstrueuse. « Arrête de te trouver des excuses maintenant tu dois partir ! Tu l’as voulu, tu le fais. » J’arrive devant la porte d’embarquement et inconsciemment je prie pour que ma réservation n’ait pas fonctionné, que mon passeport soit périmé ou autre chose. Mais tout est en règle, l’hôtesse me souhaite un bon voyage et je rentre dans l’avion. Je suis assise à côté d’une dame assez âgée, durant le voyage elle me raconte qu’elle va voir ses petits-enfants pour la première fois. Je trouve son histoire touchante. Aurais-je un jour des enfants ? Aurais-je un jour des petits-enfants ? Cette question me hante. À 30 ans je n’ai toujours pas trouvé chaussure à mon pied. La société me dit qu’il est temps, il est temps de trouver un homme, il est temps de faire des enfants et de fonder un foyer. Cette réflexion me dérange, je me demande si j’ai vraiment envie d’avoir des enfants et de trouver quelqu’un. Ma réflexion est vite coupée : l’avion se met à trembler, j’ai l’impression d’être dans une essoreuse à salade. Le commandant de bord nous dit ne pas s’inquiéter, que nous passons dans une zone de turbulences mais que tout va bien se passer. J’écoute attentivement sa voix, elle n’est pas rassurante. De mon hublot je peux observer l’aile de l’avion. Je vois un éclair tomber dessus ! L’aile se brise et l’avion commence à tourner dans tous les sens. Les gens sans ceinture se retrouvent projetés sur le plafonnier de l’appareil. Les gens hurlent, les enfants pleurent, je sens que ce voyage aura un destin funeste… Je me demande pourquoi je suis montée dans cet appareil. Les minutes me paraissent des heures, l’avion perd de plus en plus d’altitude, je vais mourir, nous allons tous mourir. Je ferme les yeux je repense à ma vie, à ce que j’ai accompli, mais surtout à ce que je n’ai pas fait. Je n’ai pas fait de hautes études, je n’ai pas profité de ma vie, j’ai été passive. Ce voyage devait être un renouveau et ce sera finalement une fin. L’appareil vacille, une odeur de fer m’entoure. La femme à côté de moi s’est cognée la tête sur le devant du siège, je vois du sang couler de sa tempe, ses mains tombantes me font penser qu’elle est morte. Les sièges dans l’allée centrale sont presque tous vides, beaucoup de personnes doivent être décédées autour de moi. L’avion tourne encore et encore. Un choc retentit, mes yeux se ferment, ma conscience disparaît…
Jour 2
De l’eau coule sur mon front, j’entends le bruit du vent ainsi que le chant des oiseaux, j’essaie d’ouvrir les yeux, de me mouvoir, mais mon corps ne répond pas. Suis-je paralysée ? Suis-je morte ? Je ne sais pas, j’essaie de me concentrer et petit à petit mon corps se réveille. je commence à entendre des cris venant de loin. Mes yeux commencent à s’ouvrir, je suis assise dans mon siège comme je l’étais auparavant. Mon siège est là ainsi que le corps de ma voisine. Cependant il manque une partie de l’avion ainsi que le toit. Je défais ma ceinture et décide de quitter l’appareil. Je me lève et j’observe autour de moi. Une vision d’horreur : des cadavres, des valises et des branches d’arbre. Une fois sortie de l’appareil j’arrive sur une plage, elle pourrait paraître paradisiaque sans la pluie et les débris d’avion partout. Il y a quelques survivants, une petite fille pleure à côté du corps de sa mère, un vieil homme cherche désespérément quelque chose dans le sable. Cela me paraît apocalyptique. Je m’assois par terre regardant l’horizon, comment allons-nous nous en sortir ? Nous devons agir, nous devons nous protéger de la pluie, nous devons enterrer nos morts… Je décide donc de m’activer, je commence par aller voir le vieil homme pour lui demander ce qu’il cherche. Il me répond que sans ses lunettes il ne voit rien et qu’il a du les perdre durant le crash. Un jeune homme nous rejoint après avoir entendu notre conversation, il demande au vieil homme d’aller s’asseoir sous un arbre et que nous allons les chercher pour lui. Le jeune homme se présente, il s’appelle Mike, il me paraît blessé au niveau de l’épaule. Il me voit l’observer et m’explique qu’un morceau de carlingue ou une branche ont dû le percuter. Ensemble nous commençons à chercher, mais cette mission est aussi complexe que trouver une aiguille dans une botte de foin. Nous décidons donc d’aller expliquer qu’il était impossible de retrouver ses lunettes pour le moment et que plus tard nous irons chercher dans les valises des disparus une paire de lunettes de secours. Avec Mike, nous avons décidé de faire le tour des survivants, de leur demander comment ils allaient, s’ils étaient blessés. Nous étions douze survivants. Douze survivants sur environ cent-quatre-vingt. Ces chiffres me restent en tête, pourquoi moi, pourquoi suis-je encore vivante alors que tant d’autres sont morts ? Mike me tire de mes pensées, me demande ce que nous devons faire. Pourquoi me demande-t-il ça à moi ? Est-ce que je semble être la meilleure personne pour gérer ce genre de situation ? Je lui explique que nous devons trouver un abri, enterrer les morts, ouvrir les valises et faire un inventaire de ce que nous avons. La montre dont j’ai héritée de mon père n’est pas cassée, il est environ 15h. « La nuit va vite tomber, nous devons absolument trouver un abri pour ce soir. La partie de l’appareil qui est sur la plage n’est pas une bonne idée, elle me paraît instable et surtout il n’y a pas de toit. Je pense que nous devons aller retrouver l’autre partie de l’avion. » Petit à petit le groupe se rapproche de moi, je lève la voix, explique mon plan. Mike et moi allons partir à la recherche des restes de l’avion, les personnes n’étant pas blessées devraient commencer à creuser pour enterrer nos morts. Les personnes blessées, mais dans un état stable devraient commencer à fouiller les valises. Les gens acquiescent, et commencent à s’affairer. Mike fouille dans quelques valises pour trouver des lampes torches. Il en trouve deux, nous décidons alors d’emprunter des pulls dans les valises puis nous nous mettons en route. Nous suivons les traces de l’avion sur le sable. Le crash a dû être d’une violence absolue pour que le sol soit ainsi jonché d’autant de débris. Voilà une heure que nous marchons et nous n’avons toujours pas trouvé l’avion. Quand Mike se met à crier : il a trouvé. Ma joie ne dure pas longtemps : cette partie de l’avion est encore plus délabrée que la nôtre. La nuit risque d’être rude ! Mike et moi décidons d’explorer un peu l’île pour essayer de trouver un endroit où passer la nuit. Après plusieurs heures de recherche nous trouvons une caverne creusée dans la roche. Nous décidons de rejoindre le rivage et nos compagnons de voyage pour les informer de nos trouvailles. Une fois arrivés près de nos compagnons nous avons pu contempler le travail accompli. Une grande partie des corps avait été enterrée. Amanda, une jeune fille, avait fait un inventaire méticuleux. Nous avons environ 7 boîtes d’anti-douleurs, 15 pulls, 8 pantalons, de la crème solaire et quelques vivres. Elle avait même trouvé une paire de lunettes pour Joseph. La nuit commence à tomber, il est 20h. Nous décidons d’aller dans la caverne. Celle-ci était assez grande pour nous tous, Mike va chercher du bois pour faire un feu tandis que je montre le chemin à mes compagnons. Une fois installés nous ouvrons quelques vivres, une petite fille du nom de Julie se colle à moi. Elle a passé une journée atroce, sa maman était décédée, elle a froid, elle est perdue. Malheureusement pour elle ce n’est qu’un début. Les jours suivants seront être rude, nous devons quitter cette île de toute urgence. Installer avec un pull sous la tête, mes yeux commencent à se fermer. Je dois reprendre des forces pour pouvoir survivre un jour de plus.
Jour 3
Je suis restée éveillée pratiquement toute la nuit. Julie a fait énormément de cauchemars. Une fois le soleil levé, je prends mes affaires pour pouvoir visiter un peu la forêt de l’île, pour trouver des fruits ou des plantes pour le repas. Durant environ 20 minutes je cherche, arbre par arbre pour ainsi dire, de quoi manger. J’entends soudain derrière moi des branches craquées, essayant de rester calme tandis que la peur m’envahit. Je prends mes jambes à mon cou pour essayer de me sauver. Quand soudain une main attrape mon bras. « Où vas-tu? » me demande Mike. Une fois apaisée, je lui explique mon plan. Il décide de m’aider, et me propose d’aller fouiller les valises de l’autre côté de l’avion. C’est une bonne idée, nous avons certes fouillé des valises mais pas toutes. Nous allons faire ça cette après-midi, la priorité pour le moment est de trouver un repas pour mes compagnons. Nous grimpons très longtemps, je fais une pause pour reprendre mon souffle et regarder le paysage, je vois au loin une île ou peut-être une ville avec probablement de la population qui pourrait nous aider. Nous devons essayer d’y aller, c’est peut-être notre seule chance. Je montre à Mike ce que je vois, et lui et moi sommes d’accord, cette après-midi nous allons essayer de construire un radeau car à la nage il est impossible de traverser. Au bout de deux heures environ nous avons trouvé de quoi manger quelques bananes, de la noix de coco et de la canne à sucre. Heureusement que Mike est là, pour m’aider. Quand nous rejoignons le camp la majorité de mes compagnons sont déjà levés, seule Julie dort encore. Je m’assois à côté d’elle pour la réveiller tendrement. Elle a besoin d’un semblant de normalité. Je remercie Justin Roussel d’avoir emporté avec lui des sticks de café soluble. L’odeur du café me rappelle l’odeur de ma cuisine, les matins passés dans mon canapé le week-end. Après le repas nous avons décidé d’expliquer notre plan à nos camarades. Amanda est complètement contre notre projet, elle ne veut pas mettre sa vie et celle des autres en danger. Je peux comprendre son opinion : comment demander à des gens qui ont frôlé la mort de remettre leur vie en péril ? « Mike et moi irons, nous ne pouvons pas mettre toutes les vies en danger. Nous irons jusqu’à la terre et nous préviendrons les autorités que vous êtes encore sur l’île. » Amanda commence à s’énerver « Comment pouvons-nous être sûrs que vous allez leur dire que nous sommes là, nous n’avons aucune preuve ? » Pourquoi pense-t-elle cela, je ne comprends vraiment pas son point de vue. « Nous allons faire quelque chose, vous allez tous écrire une lettre à vos proches en disant que vous êtes en vie, sur cette lettre je veux que vous indiquiez votre nom, votre prénom, votre numéro de passeport. » Je me mets à côté de Julie pour lui demander à qui elle allait écrire. « À papa. » Elle et sa mère devaient le rejoindre au Mexique. une fois sa lettre terminée je passe à la mienne. Mais à qui vais-je écrire ? Je n’ai pas vraiment de proches, mes parents sont morts, je n’ai pas ni frère ni sœur, j’ai quelques amis mais pas assez intimes pour leur écrire une lettre. Il y avait Marc certes, un ancien collègue de travail, il est gentil et durant un moment j’ai cru que quelque chose allait se passer entre lui et moi. Mais avec le temps j’ai compris qu’il ne serait jamais plus qu’un collègue de travail… Il m’avait conduit à l’aéroport par gentillesse, mais pas par amour. J’arrête immédiatement de penser à cela, au vide intersidéral autour de moi. Si un jour, j’arrive à rentrer les choses vont changer, en seulement deux jours ici, j’ai fait plus de choses que durant toute ma vie. Je pourrais me considérer comme le membre dirigeant du groupe avec Mike alors que dans ma vie en général je ne suis qu’un mouton, une personne qui suit les autres. Mike me tire de mes pensées : « Il faut commencer à construire le radeau, nous ne pouvons pas perdre plus de temps. » Il a raison : nous devons partir le plus vite possible de cette île. Nous décidons alors de nous enfoncer dans la forêt pour trouver du bois. Avant cela nous conduisons une partie du groupe vers l’autre côté de l’avion pour qu’il puisse fouiller les valises. On commence à couper des arbres comme nous pouvons, une tronçonneuse n’aurait pas été de refus. Au bout de quelques heures nous décidons de faire une pause. Mike me parle de sa famille, de son enfant et de sa vie actuelle. Il est chef cuisinier, il se rendait au Mexique pour un entretien d’embauche dans un grand restaurant. Durant notre conversation, je ne peux m’arrêter d’admirer la vue. C’est la première fois depuis que nous sommes arrivés que je m’autorise un moment de répit. Le panorama est magnifique : autour de nous il y a de grands arbres qui abritent une faune bigarrée. La journée est bercée par le chant des oiseaux. De là où nous sommes nous voyons la mer, elle semble calme, elle sera peut-être plus facile à traverser que nous l’imaginons. Le ciel au-dessus de nous est d’un bleu magnifique, ce n’est pas le même bleu qu’à Londres, il n’y a pas de pollution, pas d’usines, pas de modifications de l’homme. « Nous devons nous remettre au travail ». Mike a raison et pendant des heures nous allons couper du bois encore et encore. Une fois que le bois a été récolté nous rentrons au camp. Nous allons devoir sacrifier quelques vêtements pour fabriquer du cordage. Amanda est encore une fois contre cette idée, elle ne veut pas sacrifier de vêtements car si on ne s’en sort pas, ils en auront moins. Avait-elle vraiment envie de rentrer ? Je commence à me le demander, comment peut-elle être contre toutes nos idées pour sortir d’ici ? Je ne lui laisse pas le choix, je m’impose en prenant deux pulls. « Si tu veux qu’on sorte ton petit cul de cette île il faudrait peut-être que tu commences à coopérer. » Cette phrase est sortie sans que je réfléchisse, ça faisait des années que je n’avais pas été vulgaire envers quelqu’un mais là c’est la goutte de trop. Je décide de m’isoler pour ne pas créer de tensions supplémentaires. Joseph le vieil homme avec ses lunettes me rejoint. « Je suis très reconnaissant pour ce que vous faites, nous avons beaucoup de chance de vous avoir avec nous. » Joseph est un homme d’environ 75 ans, son visage est marqué par l’âge. « Je ne sais pas quoi vous répondre, je crois que je ne suis pas vraiment la bonne personne. Vous me voyez là actuellement comme une personne courageuse, cependant dans la vie je suis loin d’être comme ça. Je suis plutôt le contraire. » Joseph me regarde avec un visage attendrissant. « C’est peut-être l’aventure qui va changer votre vie, l’aventure qui va vous forger. » Joseph me tapote l’épaule avant de partir, me laissant réfléchir à ces paroles. En effet je suis partie pour me trouver, pour trouver un sens à ma vie. Et si c’était le coup de pied aux fesses dont j’avais besoin ? La journée était passée à toute vitesse, mais le radeau était prêt. Demain, c’est le grand jour, nous allons partir en mer, vers la terre. Je m’endors le soir sur cette pensée. Je vais bientôt rentrer.
Jour 4
Le jour J est arrivé, Mike et moi faisons nos au revoir à nos compagnons. Julie ne veut pas me laisser partir et son regard m’attriste. C’est un peu pour elle que je le fais, pour qu’elle puisse retrouver son père. Sur le radeau nous n’emportons presque rien, quelques vivres, de l’eau, ainsi que quelques bananes. Nous avons dû nous battre avec Amanda pour les prendre. j’ai l’impression qu’elle ne veut pas qu’on arrive sur terre. Qu’elle veut rester là, dans une petite société indépendante. Contrairement à ce que je pensais j’ai appris qu’elle était directrice de banque, son métier me semble à des kilomètres de sa personnalité. Peut-être rêvait-elle d’une vie plus calme en autosuffisance ? Nous sommes montés sur le radeau, Mike pense que la traversée prendra une douzaine d’heures. Douze heures de trajet, cela me semble une éternité. Au début du voyage, la mer est très calme et nous devons ramer avec des bouts de bois, l’eau est translucide, nous pouvons voir les poissons, les barrières de corail, c’est magnifique. Cependant après trois heures de trajet la mer commence à s’agiter et le vent à souffler. J’essaie de contrôler ma peur, il ne faut pas qu’elle me domine. Je commence alors à parler de tout et de rien avec Mike pour essayer de me détendre. Nous parlons du restaurant dans lequel il voudrait travailler et des plats qu’il aimerait bien cuisiner. C’est un homme vraiment charmant, et sûrement un très bon père. Il ne parle jamais de sa fille, je pense que c’est pour ne pas pleurer, j’ai appris qu’il était divorcé et qu’il ne la voyait que rarement. Au moins lui il a quelqu’un à qui penser. La mer devient de plus en plus agitée. Nous devons nous cramponner au radeau pour ne pas tomber. La pluie commence à tomber ce qui rend la traversée encore plus compliquée. Amanda avait peut-être raison, nous aurions dû rester sur l’île. Je n’ai pas envie de mourir comme ça, j’ai lu dans un magazine que mourir noyé était l’une des pires morts. Le crash d’avion était moins douloureux. Il faut qu’on y arrive, Julie doit retrouver son père. En pensant à Julie mes forces augmentent, je me cramponne de plus en plus fort, je ne vais pas tomber, je ne vais pas mourir, pas ici et pas maintenant. Je dois lutter et me battre ! Au bout de quelques heures, enfin, la mer se calme : à nouveau nous arrivons à nous asseoir. Je suis exténuée, mes bras me font mal et sont écorchés. Il ne reste que trois heures de trajet selon Mike pour arriver sur terre. La fin du voyage se passe plutôt calmement, nous arrivons sur une plage.
La plage est bondée de touristes, comment est-ce possible, comment un crash d’avion à pu passer inaperçu aussi près d’une plage touristique ? Les gens nous dévisagent, nous et notre radeau. Quand ce matin ils ont préparé leurs affaires de plage ils ne s’attendaient pas à voir deux naufragés débarquer sur des rondins de bois. Une jeune femme accourt vers nous, et nous demande ce qui est arrivé. Nous lui expliquons le plus clairement possible. Il faut qu’elle prévienne les autorités pour que nos compagnons puissent sortir de l’enfer. Une demi-heure plus tard, nous sommes assis sur la plage, une bouteille d’eau à la main, je sui soulagée, nous avons réussi. Sans Mike, je n’aurais jamais pu atteindre le rivage, je ne sais même pas si j’aurais survécu. Les autorités arrivent avec une troupe de journalistes. Je sens les caméras fixées sur moi, mais pour le moment c’est le cadet de mes soucis. Une officier vient vers nous et nous demande de le suivre. Mike passe en premier, il me sourit pour me rassurer, et me prend la main. Le contact de sa main chaude me rassure immédiatement. L’officier, un homme d’environ 60 ans, nous interroge puis nous conduit au poste le plus proche pour prendre nos dépositions. Ma seule envie est de manger et de prendre une douche, mais à la place je remplis papier sur papier comme si ça ne pouvait pas attendre. À la fin de notre déposition, l’officier nous demande de monter dans la voiture devant le poste. Où nous emmène-t-il ? Je n’ai pas envie de faire un tour de voiture, je veux retrouver mes compagnons, je veux prendre Julie dans mes bras. Mike me tire par le bras le sourire au lèvres. Pourquoi sourit-il ? Il n’a pas envie que les choses avancent ? « Monte dans la voiture, tu vas aimer notre destination. » Comment ça, je vais aimer notre destination ? Comment sait-il où nous allons ? L’officier conduit lentement. La circulation est dense. Il n’est vraiment pas pressé lui ! Par la fenêtre de la voiture, je regarde le paysage : nous sommes dans un pays chaud, les couleurs sont magnifiques. Les gens sont bronzés et ont l’air de bonne humeur. Il fait chaud, mais je sens la climatisation souffler sur mon visage. L’officier nous annonce que nos compagnons sont en route, qu’ils sont sur le point d’arriver. Dix minutes plus tard nous sommes garés sur le port, nous ne sommes pas les seuls à venir au port aujourd’hui, il y a énormément de touristes. J’ai hâte de revoir Julie et Joseph. Nous avons réussi à les sauver et cela me rend fière pour la première fois de ma vie : j’ai enfin accompli quelque chose ! Une fois le bateau amarré je vois leurs visages qui resplendissent, heureux, je suis la première à sortir. Julie me saute dans les bras elle, me fait un bisou sur la joue cette sensation est agréable. Mike nous regarde au loin, je vois de la détresse dans son regard, il doit sûrement penser à sa fille. J’avance vers lui quand je sens mon cœur s’accélérer, mes mains deviennent moites et mes yeux se troublent. Je sens mon corps me lâcher, en quelques seconde je suis passée de l’euphorie au néant.
Jour 5
Mes yeux ont du mal à s’ouvrir, je ne suis plus sur le port. Sous moi je sens quelque chose de tendre, peut-être un matelas. J’arrive à sentir une odeur connue, mais je n’arrive pas à remettre un nom dessus. Quelque chose touche ma main et un poids repose sur ma jambe. Je suis peut être dans le coma, encore dans l’avion. Mon évasion est peut-être un rêve, mes compagnons peut-être une illusion. J’entends une voix au loin, un homme, cette voix je la connais. C’est Mike, si je l’entends c’est qu’il existe. « Allez, ouvre les yeux, rejoins-nous. » Je rassemble toutes mes forces pour pouvoir répondre à ses attentes, et par miracle j’y arrive. Il est en face de moi, propre et rasé. Au niveau de mes pieds, il y a Julie, elle me sourit et j’arrive à voir de petites larmes se former. Je regarde autour de moi, je suis à l’hôpital, l’odeur me revient subitement. Elle me rappelle ma mère, son accident, sa mort. Je me force à ne pas y penser, c’est de l’histoire ancienne, je suis en vie. Je ne peux pas m’apitoyer sur mon sort. Mike m’explique que ça fait deux jours que je suis dans le coma. À cause d’une infection et de la déshydratation. Julie et lui ne m’ont pas quittée depuis que je suis arrivée. Mike m’explique aussi que nos proches ont été prévenus, et qu’ils arrivent demain. Je n’ai pas de proches, qui pourrait venir me voir ? se réjouir de ma survie ? « Personne ne viendra me voir non plus, m’explique t-il, ma fille est trop petite pour prendre l’avion toute seule. » C’est à ce moment précis que je remarque que nous sommes pareils. Lui comme moi sommes des solitaires, sans accroche et sans famille. Il est mon double. Julie me raconte qu’elle a eu son père au téléphone et qu’il va lui acheter le plus gros ours en peluche de la terre. Cette réflexion me fait sourire, sa jeunesse mais surtout son innocence me rassurent. Il n’y a pas que du mal sur cette terre. Elle va devoir affronter beaucoup d’épreuves, le deuil de sa mère, le retour à la vie normale. Et si cet ours peut l’aider, j’en suis ravie. Ma tête commence à me faire mal et je sens mon corps repartir dans un état de fatigue extrême. Mike me tient la main et me conseille de dormir un peu pour récupérer. C’est un bon conseil, que je suis immédiatement.
Jour 6
Aujourd’hui je me sens bien, j’ai recouvré toutes mes forces et les médecins sont d’accord pour me laisser sortir à condition d’être surveillée quelques jours. Mike va s’en charger, il me l’a promis. Aujourd’hui nous sommes tous convoqués au poste de police pour pouvoir parler à nos proches puis aux journalistes. J’ai peur, je ne vais retrouver personne, mais je n’ai surtout pas envie de parler de ce qui est arrivé sur l’île, de nos morts. Julie s’est fait belle, avec Amanda elles ont écumé les magasins pour lui trouver une jolie robe. Elle souhaite être belle pour réconforter son père. Du jour au lendemain cet homme se retrouve veuf, il va devoir gérer beaucoup de choses en peu de temps. Mike prépare mes affaires et m’aide à remplir les papiers. La compagnie aérienne se charge de tous les frais, encore heureux ! Une fois sortie de l’hôpital, j’observe le paysage. C’est une ville assez grande, il y a beaucoup d’immeubles devant moi. Mais contrairement aux autres grandes villes que j’ai visitées, la verdure se mélange au béton. Ce mélange est harmonieux, le soleil accentue l’effet. L’odeur change de celle de l’hôpital, j’arrive à sentir la rose et l’herbe coupée. Mike appelle un taxi pour aller directement au poste. Devant celui-ci il y a énormément de voitures et de journalistes. La voiture rentre directement dans le garage du poste pour me laisser quelques minutes de répit avant de devoir affronter ces brutes. Nous avançons vers une pièce, où je retrouve tous mes compagnons. Joseph est le premier à me prendre dans ses bras, il est rejoint rapidement par les autres. Je suis tellement heureuse de les voir, Amanda est la dernière à me saluer. Elle est plus chaleureuse qu’à son habitude, elle me prend dans ses bras et me chuchote dans l’oreille : « Merci pour tout ce que tu as fait, sans toi nous ne serions pas là. Je suis désolée pour mon attitude envers toi. » J’arrive avec un peu de recul à la comprendre, elle avait peur et voulait s’en sortir. Je lui réponds que son attitude est déjà oubliée et que je lui pardonne. Ces retrouvailles sont touchantes et réconfortantes. Cependant elles sont interrompues par l’officier de police qui nous informe que nos proches sont arrivés. Encore un moment qui va me rappeler à quel point je suis seule… Nous les voyons arriver et sans grand espoir, j’observe la scène à côté de Mike. Mais personne pour nous, il me tire par le bras : « Allons boire un café. » Il me sauve de la situation comme d’habitude. Le café est horrible, les clichés sont parfois vrais. Julie vient nous chercher pour nous présenter à son père. Son père est un homme de petite taille, assez corpulent. Il se jette dans nos bras les yeux humides. Durant plusieurs minutes il nous remercie pour notre vigilance envers Julie et notre bienveillance. Les heures passent et ma tristesse se transforme en ennui. Le temps est long, Mike et moi parlons de tout et n’importe quoi pour pouvoir passer le temps. « »i on allait manger un truc ce soir, toi et moi, pour fêter notre retour à la civilisation. » En voilà une bonne idée, j’ai tellement envie de manger autre chose que des bananes et des plats d’hôpitaux. Mais avant nous devons passer devant les journalistes pour leur expliquer à quel point nous sommes heureux d’être en vie. Pour la conférence nous sommes installés dans une salle immense. Les journalistes sont déjà là, prêts à poser toutes les questions les plus indiscrètes. Je m’installe entre Joseph et Mike. Avec eux, je me sens en sécurité. Une fois installés le combat commence. Les journalistes nous demandent comment nous allons, comment nous avons fait pour pouvoir quitter l’île, comment nous avons fait avec nos morts. Cette question me retourne totalement, comment osent-ils poser cette question ? Pensent-ils aux familles des victimes ? C’est trop pour moi, je me lève de ma chaise et quitte la salle. Je cours dans les couloirs pour pouvoir échapper à leurs questions, mais surtout à la situation. J’en ai marre de passer pour une victime. Je ne me définis pas comme ça ! Mike m’avait parlé de leur hôtel et de ma chambre en face de la sienne. Je prends un taxi pour m’y rendre, j’informe la réceptionniste de mon identité et récupère ma clé. Ma chambre est grande et le lit est énorme, la première chose que je fais est de sauter sous la douche. Pour la première fois je m’autorise à pleurer, mes pleurs ne s’arrêtent pas comme si je devais évacuer toute la tension accumulée. Une fois la douche terminée, je me glisse dans mon lit et je m’endors rapidement.
Jour 7
J’entends taper à ma porte, il doit être environ 9h30. C’est sûrement le petit déjeuner, aujourd’hui nous devons rentrer chez nous. Londres ne me manque pas, je n’ai jamais vraiment aimé cette ville. J’ouvre la porte et découvre Mike tenant un plateau à la main. « Le déjeuner de mademoiselle est servi ! » Il me fait rire. Je lui explique mon indignation envers les questions des journalistes et m’excuse d’être partie aussi vite hier. Il me comprend et me demande l’heure de mon vol. Mon avion ne part qu’à 19h, ce qui me laisse le temps de visiter un peu la ville et manger quelque chose le midi. Mike propose de m’accompagner pour enfin pouvoir m’inviter à manger. La compagnie aérienne nous avait fait amener quelques vêtements. J’ai mis une robe à fleurs très hawaïenne. Je n’avais jamais vraiment osé mettre des vêtements comme ça, je mets plutôt du noir ou du blanc, jamais de couleurs vives. Mais ça c’est l’ancien moi, je dois changer, il faut que cette expérience ait servi à quelque chose. Devant l’hôtel je retrouve Mike, il est habillé d’un pantalon blanc et d’une chemise bleu foncé. Cela change totalement de la personne que j’ai rencontrée sur l’île. Aujourd’hui nous devons profiter car le retour à la réalité va être différent. En effet les prochains jours vont être durs, nous allons devoir rentrer et les procès vont commencer. Quand nous allons rentrer le quotidien va reprendre le dessus, nous allons retrouver notre vie avec les conséquences de ce qui s’est passé. Des procès vont être ouverts par les familles des défunts. Mais aussi par les survivants je pense, en tout cas pour moi ils doivent réparer ce qu’il s’est passé mais surtout essayer d’empêcher que cela recommence. En attendant, avec Mike, nous avons visité la ville. Sur les murs nous pouvons voir des mosaïques, des couleurs qui dansent entre elles, des chanteurs de rue, et des enfants qui jouent. Cela nous montre bien que la vie ne s’est pas arrêtée. Le restaurant dans lequel nous avons mangé était excellent, et le vin encore plus. Mike ne décolle que demain, il décide donc de m’accompagner à l’aéroport. Devant la porte d’embarcation, il me regarde, et sans prévenir m’embrasse. « Je voulais garder un bon souvenir quand même de mon voyage. » J’avais les larmes aux yeux, pour la première fois, j’allais quitter une personne pour qui je comptais mais surtout une personne qui comptait pour moi. « J’aimerais te revoir, peut-être passer quelques jours à Londres en ta compagnie. » Je lui souris, et malheureusement je rentre dans l’avion. Je mets mes mains dans mes poches, et je trouve un petit bout de papier avec son numéro de téléphone. Le voyage ne m’a peut-être pas apporter que du négatif : en lui j’ai l’impression d’avoir trouvé ma moitié. D’avoir trouvé ce que je cherchais.
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