Je n’ai jamais eu beaucoup de rêves dans ma vie. Enfin quand je dis ça, je ne parle pas des rêves que l’on peut faire la nuit. Je ne parle pas non plus des petites choses insignifiantes que j’aimerais avoir, comme plus de temps ou plus d’argent pour « profiter de la vie ». Non, quand je parle de rêves, je parle de vrais rêves. Ceux qui vous obnubilent nuit et jour et qui sont presque impossibles à réaliser. Un, en particulier me tournait dans la tête depuis maintenant quelques années. Les rares fois que je décidais de le partager à mes proches ou à mes amis, ils me répondaient pratiquement tous la même chose : « Voyager ? Je te conseille de t’enlever cette idée de la tête, tu n’es pas fait pour ça. En plus pour voyager il faut du temps et de l’argent, tout ce que tu n’as pas ! ». Alors après plusieurs conversations qui se terminaient de la ma manière, je pris la résolution de ne plus en parler à personne. Même si je n’y pensais pas moins souvent pour autant. Les années s’écoulaient sans que son intensité faiblisse. Les journées étaient de plus en plus longues et monotones à mesure qu’elles passaient. Les nuits étaient encore pires. Je faisais insomnie sur insomnie et n’arrivais plus à arrêter d’y penser. C’était trop. Il fallait que ça s’arrête. Je n’arrivais plus à supporter ce manque qui ne cessait de s’accentuer. Il était 3h30 du matin, je me levai de mon lit et pris le sac de randonné qui était rangé dans le fond de mon armoire depuis mon emménagement dans cet appartement. Il était assez grand pour contenir tout ce que je voulais y mettre. L’argent que j’avais commencé à mettre de côté depuis le commencement de ma vie professionnelle, des sous-vêtements, des vêtements chauds, quelques shorts et un peu de nourriture et d’eau histoire de ne pas mourir de faim ou de soif au début du périple qui m’attendait. Je ne savais pas combien de temps je passerai sans croiser un seul magasin. Une fois mon sac prêt et après avoir écrit un petit mot à ma famille pour les avertir de mon départ et pour ne pas qu’ils s’inquiètent sans raisons, je pris ma voiture et roulai en direction de chez ma mère pour y glisser le mot que je venais de lui écrire. Puis parti à pied en direction de l’aéroport. Je ne savais pas encore où je partais, rien n’était organisé, je me jetais l’inconnu le plus total.
L’aéroport était très grand mais je m’y retrouvais. Les panneaux qui affichaient les prochains départs étaient la première chose que je cherchais en y pénétrant. Sur la route de l’aéroport je n’arrêtais pas de m’interroger. De quelle manière allais-je sélectionner ma destination ? Je ne voulais pas être influencé si je découvrais que l’une de mes destinations favorites était affichée sur les panneaux des prochains départs. Alors j’avais élaboré une technique à laquelle je serais obligée de me tenir. Arrivée devant le panneau d’affichage, je choisirais le sixième départ en partant du haut. Le nom de la ville qui y sera affichée sera ma destination. Je n’aurai pas le droit de changer. Devant le tableau, je comptais mentalement les lignes (un, deux, troi, quatre, cinq… six!). Le nom de la ville qui y était affichait m’était bien connu, très bien connu même puisqu’il s’agissait de la ville qui m’attirait le plus. Elle était synonyme de chaleur et de fête. Ibiza ! Sans attendre une seconde de plus, je me dirigeai vers le guichet pour acheter mon billet d’avion. La file d’attente était immense, à tel point que je me demandais si l’avion ne partirait pas avant que je monte dedans. Il devait décoller deux heures plus tard, il devrait donc ne pas y avoir de problème ! Enfin je l’espérais vraiment. Après cette attente interminable, c’était finalement à mon tour de passer ! L’excitation que j’éprouvais augmentait de seconde en seconde à mesure que j’approchais du but. L’avion partait maintenant dans 45 minutes. J’aurais donc largement le temps de passer les barrières de sécurité et d’arriver à la porte ou s’effectuait l’embarquement. Je passais, comme tous les autres voyageurs les barrières de sécurité et me dirigeais maintenant vers la chose à laquelle je rêvais le plus depuis une éternité, je touchais enfin mon rêve ! Une joie incomparable à toutes celles que j’ai pu éprouver tout au long de mon existence se dégageait de moi. Je n’arrivais pas à enlever le sourire qui se dessinait sur mon visage. Lorsque vint le moment d’embarquer, je me précipitais vers les portes. Je voulais être l’un des premiers à monter dans cet avion. Trois personnes se trouvaient devant moi. Je préparais mon billet et mon passeport afin d’effectuer ces vérifications au plus vite. Plus que deux personnes, j’enlevais déjà mon manteau pour m’installer directement à ma place lorsque que je serai entrée. Plus qu’une personne et enfin, c’était mon tour ! Je tendis mes papiers, passai déjà le bureau – mais une main m’arrêta. C’était la main de l’homme à qui j’avais donné mes papiers pour qu’il effectue les vérifications nécessaires. « Pardonnez-moi Monsieur mais vous ne pouvez pas monter dans cet avion ! Votre passeport n’est plus valide depuis 4 ans et pour accéder à ce vol, il doit être en cours de validité, je vous demande donc de laisser les autres voyageurs passer pour éviter de retarder ce vol. ». Sans ajouter un seul mot, il me tendit mes papiers et me poussa sur le côté. Le voyage que j’avais prévu avait était plus court que ce que j’avais effectivement prévu.
Le retour chez moi fut difficile. Au sens propre comme au figuré. Je n’arrivais pas à me dire que mes grandes ambitions de voyages s’arrêtaient ici. J’avais prévenu tout le monde. Toute ma famille. Qu’allaient-ils penser en me voyant arriver aujourd’hui ? Ma mère dirait à mon père : « Tu vois ! Je t’avais prévenu que ton fils ne fait pas partie de ceux qui osent. Il n’a aucun courage depuis son enfance. Et le courage ça ne s’apprend pas, c’est dans le sang ! ». Je ne dois pas les prévenir de cet incident de passeport. Ni même leur dire que je ne suis pas parti. Mon sac était prêt, j’avais tout le nécessaire pour tenir pendant plusieurs jours. Quel moyen de transport pouvais-je emprunter sans passeport ? Évidemment, la première chose qui me vint à l’esprit était la voiture mais je n’irai pas bien loin avec. Je n’avais quasiment plus une goutte d’essence, et faire le plein me reviendrait beaucoup trop cher. C’est donc une option que je ne pouvais accepter. Et comment traverser des mers et océans avec une voiture ? La réponse m’apparut soudain comme une évidence ! Le seul moyen de les traverser sans prendre l’avion, c’est de monter sur un bateau ! J’étais décidé. Je prendrai un bus qui m’emmènera au port le plus proche. Plus rien ne pouvait arrêter cette envie qui ne cessait de croître de seconde en seconde.
Il faisait chaud. Le bus était plein. Nous étions tous les uns sur les autres. Comment un bus à destination d’un minuscule port pouvait-il être aussi plein ? Cela faisait maintenant quatre heures que nous roulions. Les gens autour de moi n’arrêtaient pas de se plaindre. Je ne voulais qu’une chose : arriver à destination pour ne plus avoir à écouter leurs questions inutiles au-dessus de la musique de mes écouteurs. J’avais beau mettre le son à fond, rien n’y faisait. Ils arrivaient toujours à parler plus fort qu’ils ne le faisaient précédemment. C’était donc avec un grand ravissement que je descendis du bus pour rejoindre le bateau.
Ma première destination était le Portugal. Un pays magnifique et chaleureux. Où la chaleur était omniprésente pendant cette période. Le voyage en bateau se déroula sans problème. Je pourrais même dire qu’il avait été agréable. À mon arrivé, j’étais rempli d’une joie que je ne pouvais décrire. Je ne savais pas ce que j’allais faire dans les prochains jours, ni même dans les prochaines heures mais cela ne changeait en rien ce que je ressentais. J’étais libre. Libre de faire ce que je voulais quand je le voulais. Plus personne ne pouvait m’atteindre. Je ne savais pas combien de temps je passerais ici. Je prendrais peut-être le temps de visiter ce pays avant de reprendre la route pour atteindre Ibiza mais avant, je devais trouver un job. N’importe lequel, tant qu’il me permettra de gagner assez d’argent pour payer mon ticket de bus, qui me permettra de traverser l’Espagne jusqu’à la région la plus à l’Est. Je ne parlais pas du tout cette langue mais je me débrouillais bien en anglais, la langue internationale. Je pris mon sac et partis en direction d’un hôtel qui se trouvait non loin du port. Ce n’était pas le plus beau, ni même le plus propre, mais c’est le seul qui rentrait dans mon maigre budget. Mon sac déposé, je partis sans m’attarder me balader dans les rues de la ville et sur la plage. Elle s’étendait à perte de vue. Elle semblait infinie. Le paysage était absolument magnifique. Incomparable à tout ce que j’avais pu voir dans ma vie jusqu’alors. Le ciel était d’un bleu azur à couper le souffle. Et la mer… je ne trouvais pas les mots pour décrire ce spectacle comparable à aucun autre. L’eau était translucide à tel point que nous pouvions voir les poissons sans difficulté. Le sable blanc rappelait les plages paradisiaques des îles que nous pouvions voir sur les cartes postales. Les enfants courraient sur le sable en criant. Les adolescents préparaient le bois pour le feu de camp qu’ils allumeraient le soir venu, et les adultes se baladaient tranquillement, les pieds dans l’eau. Je les enviais. Je n’avais pas pensé à la solitude que je ressentirai, en voyagent seul. Sans personne à qui parler. Avec qui rigoler et même me disputer. Sans personne avec qui je pourrais parler ma langue natale. C’est à cet instant que je compris que, lorsqu’on voyageait, la difficulté n’était pas de vivre dans un autre pays que le sien. Mais la solitude. D’un côté, mon rêve de partir s’était enfin réalisé, je vivais enfin tout ce que j’avais toujours voulu. Mais ma joie avait été de courte durée. Elle était passée au second plan. Dominé par un sentiment encore plus puissant, insupportable et destructeur.
Sept jours étaient passés depuis mon départ et pourtant, j’avais l’impression d’être partie depuis des mois. Rien ne changeait. J’avais trouvé un petit boulot de serveur sur la plage qui me permettait de payer ma chambre d’hôtel et ma nourriture mais il ne me permettait rien d’autre. Encore moins de payer un ticket de bus pour traverser tout le territoire. Saison estivale rimait forcément avec beaucoup de monde sur la plage et dans les bars qui la bordent. Mais le monde ne changeait en rien le salaire misérable que je recevais chaque soir. La tristesse était toujours présente mais elle me semblait plus contrôlable. Notamment lorsque je travaillais. C’est ce qui me permettait garder la tête froide. De ne pas céder à la folie. Ce soir-là, après la fin de mon service, je ne tenais plus. Je ne voulais qu’une chose, rentrer chez moi. Alors, sans y réfléchir plus longtemps, je partis dire à mon patron que je ne viendrai plus travailler. Puis je pris la direction de ma chambre d’hôtel, afin de rassembler le peu d’affaire que j’avais, les mis dans mon sac et partis. L’argent que j’avais économisé ne me permettait pas de prendre le bus pour traverser tout un pays, mais elle était suffisante pour prendre le bateau en direction de la France.
Ce voyage était à la fois le plus beau de toute ma vie et le pire. Il m’a permis de ressentir ce sentiment de liberté que je convoitais depuis plusieurs années. Il m’a aussi permis de voir que le monde est rempli de paysages incroyables et de cultures très différentes. Mais surtout, il m’a appris à quel point m’a famille est importante. Même si ce qu’ils me disent parfois me blesse et me déplaît, ils le disent pour mon bien et mon bonheur. À mon retour en France, je ne pensais qu’à une seule chose, passer chez mes parents et les serrer contre moi. Ce n’est qu’au moment où nous sommes privés des gens que nous aimons que nous réalisions à quel point ils sont importants pour nous et je l’ai compris grâce à ce voyage.
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