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Nicolas d’Adriaenssens

Posted on mai 24, 2019mai 25, 2019 by RKG

Retour au sommaire de la revue Solstices n°3

 

Couverture par Nicolas Stanziano

Histoire d’Anna

Anti-poésie en plusieurs esquisses

Pour acteurs fabuleux entourés d’images magiques

Naissance d’Anna

Anna est née et le monde s’est tu, au dehors de sa peau. Le sol était si pur et les arbres si nus sur son passage. Ma vie frêle ne tenait qu’au fil de ma tristesse et aux souvenirs naissants. Sur le sol assoiffé de nature Anna déverse mille miroirs de beauté. Elle a découvert la magie et étale des millions de rêves sur les crânes dégarnis de l’autorité. Anna, née au printemps, aurait pu convertir le monde à la beauté.

Dans sa magnifique ignorance, elle ne fuie pas encore, elle ignore tout des regards apeurés qu’il faudra cacher sous sa pureté pour survivre dans le monde des spectres. Une nouvelle religion est née dans la forêt : celle de la beauté. Les arbres timides et pudiques cachent leur laideur de bribes de ciel bleu. Le lac cherche à refléter les pensées d’Anna qui marche, insouciante.

Le vent murmure un hymne à la pureté et les feuilles tombent à la cadence du cœur d’Anna.

Tout n’est encore que rêve quand Anna avance, habillée de nature et d’océans d’images, vers son destin, orage dans un ciel d’été. Tout aurait été possible si le monde, ce matin, s’était arrêté de battre pour vivre mille rêves de pétales rosés aux pas d’Anna.

Atteinte

Tout n’est déjà que souvenirs lorsque Anna progresse dans les friches de travail, première atteinte du monde extérieur. L’incompréhension guette son regard et Anna se sent nue sans ses habits de lumière.

Au-delà du jardin secret, se dresse une noire montagne embourbée de suie et de cauchemars. Anna voudrait éplucher cette noirceur pour en retirer des abîmes de beauté mais sous l’obscurité ne se cache que des gouffres plus grands encore. Dix mille enfants, sous l’Œil de la bêtise, travaillent à la chaîne, creusant et meurtrissant chaque jour un peu plus leurs rêves.

À côté d’eux des chiens de garde masqués, sans visages se tiennent, obéissant aux lois de la Noire Société. Les soleils, jadis souriants, complotent contre la beauté d’Anna, tenant conseil pour entretenir l’obscurité.

– ils travaillent encore – et au-delà de leurs regards, des monstres d’acier, de sombres machines ont volé leur humanité.

L’inutilité est derrière chaque geste, chaque œil, mais personne ne le sait. Les Fuyants ont affirmé qu’ils seraient heureux.

Anna résiste, refuse de noir l’entrée dans ses pensées pures, laissant aux ombres le monopole de la laideur.

Poursuivie par les rayons du mal et son long cortège de folies elle court, l’infaillible certitude de bientôt se réveiller au printemps parmi les fleurs de la beauté.

Déjà corrompue par les visions, déjà consciente, le sol se fait gris sous les pas d’Anna et les fleurs du bien se meurent sous la pureté tâchée. Déjà les prémices des interrogations s’immiscent en son âme, quand, sur son chemin de vie, se dresse une porte avec le mot cinglant : REALITE

Nicolas de Novembre

(autoportrait)

Dans l’hôpital de mes démences, je fume des rêves en hiver mais la fumée n’est que haillons.

Je suis né dans un bois noir où chantent les hyènes ; la rivière qui coulait n’était qu’un écoulement continu de sperme où flottaient des vices multiples.

Je suis né dans une forêt de pianos écorchés où les notes m’attirèrent plus que la grisaille

Je suis né dans les plaines de l’incertitude, scrutant l’horizon de mes poings acérés afin de trouver le repos.

Je suis né dans un hôpital où les anges dirent que j’étais irrécupérable, condamné à être poète.

Je suis né sous un toit de béton armé, tentant vainement de m’échapper à chaque envolée lyrique.

Les orages se déclenchèrent à chaque incertitude, et les dieux me condamnèrent à la banalité, que je refusais de toutes mes forces.

Et des personnages imaginaires s’échappèrent par erreur de pages sombres de mes poèmes, pour s’incruster dans ma conscience.

Je fixe des angoisses sur papier. Je suis un alchimiste de la douleur mais la pierre philosophale n’est qu’illusions, sang et pluies. Par-delà les cauchemars se dresse une vérité première qu’il me faudra atteindre pour partager un triste privilège avec les mortels : la vision du néant, de l’indicible.

Sur les cordes de ma guitare et dans les entrailles d’un ampli se cache la part du vide, la peur du vide.

Les souvenirs me dévorent et les automnes de ma vie se succèdent à un rythme printanier.

L’insecte de la mélancolie bourdonne à mes oreilles comme un fruit trop mûr. La folie me murmure une douce romance.

Je crache des araignées qui tissent des arcs-en-ciel noirs et blancs autour de mes écrits ?

Mes yeux magnifient le néant et mon regard vide s’échappe souvent.

Mais dans ma solitude se cache un espoir : Anna, que j’ai créée pour réchauffer mes pensées d’un linceul de pureté.

Mais l’heure n’est déjà plus à la poésie mais aux amères descriptions de la réalité.

Vous teniez l’amour dans vos bras sans savoir qu’elle se tenait là, sage et immobile.

L’amour est une femme. Vue de devant, magnifique et lumineuse. Une aube éternelle. Derrière, des vers lui perforent le corps et strient la peau de labyrinthes fangeux. Vous la teniez tout de même, car vos pauvres sens humains n’ont plus voulu percevoir que le bon côté.

La vie se réduit à la métaphore de l’amour : le mal nous pousse tellement par derrière qu’on ne voit que le bien.

Le mal m’a poussé sur un mur, et j’ai été forcé de faire demi-tour. Regarder.

*

Anna ouvre la porte.

*

Nous devions avoir une dernière illusion, avant de mourir. Nous devions faire semblant de croire que nous existions – J’entends par exister être hors du commun des mortels – Nous refusions le monde comme on refuse un chemin, si propre qu’il en devient laid.

Derrière les rires de Max et les grimaces obscènes de Nicolas, se cachait cette peur inouïe, dévorante.

Non satisfaits de n’être pas du tout, nous avons choisi de n’être rien, expérimentant le vide et la description des pensées pour arriver à une autre perception du beau. Et le vide s’est dissipé, remplacé par une substance merveilleuse : l’Art.

*

Réalité

La réalité est une cave. Un penseur, perdu dans des denses lumières oniriques, se tient sur un trône noir. Ses yeux fermés font penser aux phares éteints d’un camion qui fonce sur un homme, dans une nuit sans étoiles. Est-il mort ? Anna s’avance. Il ne bouge pas.

La lumière blafarde murmure des blasphèmes, soleils de charbon. Le lieu sent la révolte et l’orage. La cave entière est en deuil. Des cortèges d’ombres ont élu domicile derrière les réflexions du penseur. Placardées au mur, des affiches déshabillent l’humanité de son voile de bonté. Eisenhower découvre les corps étendus par la barbarie. Un homme est en train de tuer sa femme, le sourire aux lèvres. À côté de l’horreur, l’espoir chante « ne me quitte pas »

et les images sont les lettres des mots qui viennent à la bouche d’Anna, si révoltés, si incrédules.

De l’autre côté de la cave, s’ouvre une porte, d’où déboulent trois adolescents, le regard vague, les yeux en spirale, semblant scruter l’infini. Anna recule, se cache et observe.

L’un d’eux s’accroche désespérément à un micro, le visage barré d’une cicatrice, l’autre se cache derrière le rempart de palpitements d’une batterie, l’autre enfin torture sa guitare, sadique.

Et le chant glacial retentit, comme une vérité première aux oreilles des mortels, dont personne ne voudrait.

Un chant qui rappelle la lune, le soir aux envies de meurtres, lorsque la terre s’arrête un instant pour contempler le mal qui lui gratte la peau de mille pustules venimeuses.

Le chant se prolonge et les étoiles Espérances, barrant le front des mortels, s’éteignent une à une.

Vous êtes-vous déjà réveillés en pensant à ce chant, la veille de l’enterrement de dieu ?

Vous l’avez déjà marmonné, le matin au ciel fondant, au soleil de chocolat, lorsque les montres s’arrêtent pour murmurer un adieu aux vies trop fades, aux vices trop envahissants.

Un chant possédé par la beauté, le mal, la destruction, la folie.

Et les forêts de pieux s’érigent, où s’enracinent des cadavres empalés.

Des pétales de roses s’ouvrent et se referment, au gré des palpitements.

Des perles d’orages se créent autour d’accords de guitare.

Possédée par une furie, la voix perd tout contrôle et voudrait s’envoler.

La chanson s’arrête.

*

Et le rêvent devint réalité… ou cauchemar

(Nicolas N.D. a créé Anna)

Tout se joue en un seul regard. Nicolas et Anna s’aperçoivent de l’horreur qui les a fait exister. Anna, condamnée à être pure dans un monde de pluies vermoulues.

Nick, condamné à être sale dans un monde de spectres vagineux. Anna, idéal féminin, créée par l’homme qui pue l’amour. Le penseur s’éveille, parle en métaphores.

Tous se tiennent la main et sortent de la cave. Veulent découvrir le monde sous d’autres yeux que ceux de la corruption. Anna, sous ses habits de feuillages au printemps, semble ne douter de rien. L’homme est bon, puisque l’homme est artiste. Ils marchent, elle pleure. Ils marchent, elle vit encore.

*

L’œil

Des spectres grisonnants marchent dans les rues.

Le printemps frêle dégaine ses armes de beauté, mais sous l’arcade de Mars, personne ne scrute l’horizon. Un vieux conteur déjà mort récite une vieille histoire bien connue ; tous les regards se sont aiguisés :

« l’Œil est partout présent

il déniche et me prête

grâce aux apparences

des pensées que je ne possède pas

des rêves que je ne supporte pas

des vices auxquels je ne succombe pas

et quand l’Œil arrête

son intrusion passagère

dans une âme d’emprunt

il en reste des traces

et il en reste des traces…

L’Œil est pire que les spectres qui rongent les sépultures

car l’Œil est en nous

chaque fois que nous vivons »

L’auteur de cette mélopée est Nicolas de Novembre et une fois récitée, elle retombe dans le creux de l’oubli. Les gens dans la rue perçoivent ce curieux groupe d’éveillés, la beauté d’Anna trônant au milieu, et se grattent l’oreille, perplexes.

La découverte commence.

*

Anna est seule, dans un cimetière militaire, où les croix débordent du grand vase de la mort comme des fruits trop mûrs à la fin de l’été. Le prophète se dresse au milieu d’un chemin et murmure cette longue plainte :

« Des papillons noirs survolent leurs rêves

des chimères malsaines les dévorent

les anges sont déportés par millions

dans les camps d’ossements de démons

le mal est vieille putain monotone

qui revient s’asseoir aux pieds des mortels

le mal est une belle-mère

que chacun connaît

et qu’ils finissent par aimer

le chemin est long vers l’homme

et tissé d’écorchures »

Au-delà des paroles amères, le ciel écorché murmure de longues traînes lumineuses. Le jour stoppe le combat et les étoiles s’allument, en guise de victoire. La morne folie de la nuit guette déjà les lumières survivantes.

Anna marche toujours sur ce pont surplombant la rivière du mal, où l’eau, endormie depuis toujours, menace de se réveiller à chaque instant.

*

L’Écriture est un deuil, car à chaque mot, ce sont des sentiments qui meurent. Les mots sont si réducteurs…

Des gouttes de vérités sont les larmes d’Anna. Là où la vie respirait, on ne trouve que des déserts de souffre, et des vides de pensées plus grands encore. Le rien n’est encore plus beau que l’esprit de l’homme.

*

Nathanaël fuyait le mal car on ne fuit son maître qu’à toutes jambes. L’inventivité maladive de l’écrivain aura rattrapé ses pas avant la mort de la lumière.

Dans les jardins du bien, jadis, Nathanaël a découvert des fruits hypocrites dévorés par les vers. Avant de tuer pour la première fois, il cultivait des champs, sous terre, où les sillons étaient des veines écorchées et les soleils des assiettes immenses striées de fourches ensanglantées.

À l’aube, il refermait les livres pour s’adonner à la banalité. Chaque homme, à la nuit tombée, ouvre dans son esprit des livres insoupçonnés, où s’entremêlent le bonheur et le sang. La vie est un iceberg dont la partie visible est la lutte hypocrite contre le mal. Nathanaël était plus philosophe que tous les philosophes. Voici la vérité, mesdames et messieurs. Tapez bien fort dans vos mains.

*

« les enfants rongés par le sel

ont couru la nuit sur la plage

sortant de grands oriflammes

nommant leurs idoles

crustacés de la mer

ils ont déposé aux immeubles défigurés

des offrandes de nerfs

en brûlant les hommes

pour arrêter le temps

les poètes de l’âme dévorée

se sont entretués

à l’aube du grand escalier

qui pend les routes vers l’enfer

sur les nuages plaintifs

le combat continue ;

que pleuvent les hurlements

le monde est un glaçon

sur lequel les âmes fondent

l’ère glaciaire est arrivée

l’ère glaciaire est arrivée

et sur l’encens palpitant

des bombes éclatent en sanglots

au lieu de tomber

sur vos crânes déjà meurtris

les oiseaux s’échappent

tant qu’ils le peuvent

les camions écrasent leur conducteur

sur l’autoroute de la mort

les choses prennent vie

et la folie peut commencer

le rideau est ouvert

que tombes les nerfs du spectateur

que brûle l’argent

que s’effondre cette société maudite »

(décor plaintif et ténu, où la neige semble être un miroir où contempler nos dépressions, où la neige paraît être un abîme où chuter sans fin)

(le rideau s’ouvre)

(les acteurs sont assis dans une flaque de soleil)

(le penseur finit de débiter la mélopée, et se tait)

(Anna cache son visage sous des mains arides)

(la nuit est immortelle)

*

Ce n’est pas moi qui ai dit ça, c’est un être perdu dans les froids méandres de l’année dernière ; j’ai dû le laisser fondre dans les glaciers rouillés de Novembre, en quête de la fusion des âmes ; j’ai dû le laisser chercher le mal à la racine et transplanter les germes dans toutes les consciences ; j’ai dû le laisser s’échapper dans les nuits ensoleillés où fleurissent les vices au printemps, comme des groupuscules de haine. C’était moi, tout de même. (contradiction).

*

Anna est affalée dans l’atmosphère sanglante d’un café. La nuit toujours… les acteurs font offrande de leur pensée à l’obscurité. L’espoir est malade et les lumières du café s’éteignent une à une.

Les défaites germent dans les yeux d’Anna.

Un cendrier est posé sur une table désertique où tombent les pensées qui se vomissent du crâne d’Anna, et tombent dans le cendrier, cimetière philosophique. Elle rêve…

*

La population de la forêt a pris vie à travers les rêves d’Anna. Elle est seule au milieu d’une place encombrée d’arbres où les branches s’entrechoquent, hypocrites. Le sol est jonché de cnedriers, seul signe de la non-réalité des lieux. Des vapeurs de sueur et de futilité s’en échappent encore. Une sève odorante, suave et sensuelle s’échappe voluptueusement des arbres. Les arbres, squelettes dégarnis tels des hommes face à leurs vices, courent, recherchant le bonheur tout en trébuchant sur des ronces. Des cœurs battent à tout émouvoir, survivent et s’arrêtent. Anna écorche les veines des arbres où la sève coule à flot.

Elle s’arrête et contemple son bras nu, longuement. Elle approche le couteau. Un oiseau découpe le ciel en orages lumineux. La faille commence à tronçonner son cerveau. L’eau sale est éveillée en elle.

*

Elle est vivante, car l’humanité lui a donné un don qu’elle s’est découvert : la lâcheté. Les regards apeurés des hommes dansent dans son âme, tandis que le couteau est refoulé dans sa poche. Elle contemple son visage, dans une rivière sale, où des ombres de pureté s’efforcent de refaire surface. Dans ses yeux, elle découvre des océans où des marins, abrutis de travail, se jettent à l’eau. Dans ses yeux, elle contemple l’immuable ; elle voit des plaines gelées où courent des espoirs frigorifiés, en loques, et si sales…

Elle veut croire à la beauté de son visage qu’elle entrevoit pour la première fois, découpé par les vaguelettes.

Un visage qui pourrait tomber amoureux d’un arbre, où des vagues d’un rêve humain sur sa peau. Un cendrier gît au fond de l’eau et ses pensées se fissurent.

Le cendrier est posé sur la table. Le rêve est terminé.

*

Réalité : diverses couleurs

(rue sans lumière)

Nathanaël : « tu n’es qu’une pute

ne crois pas, mon amour,

que je cultive des jardins secrets

où tu figurerais en déesse

tu n’es qu’une pute

lorsque les statuettes auront détruit leur piédestal

elles marcheront vers toi

libérées de leur joug d’acier

tes yeux alors

implorant la raison

de revenir vers toi

comme la corruption

vers les lanternes noires

murmureront un pardon

à l’effigie de la nuit »

(il la lâche)

Anna : « les esquisses symphoniques de la tristesse ont trouvé leur musicalité dans le noir de ton océan ; pourquoi laisses-tu tes yeux jouer la méditation de Thaïs ? »

Le penseur : « Le noir qui s’échappe est une offrande au bleu hypocrite »

Anna : « Pourquoi t’enveloppes-tu de deuil? »

Le penseur : « Il existe d’autres réalités. La mort n’est qu’un déguisement.

(éclair furtif au fond des yeux)

Les couleurs sont mortes. Fêtons l’avènement du gris. La chasse aux sorcières recommence. »

*

(cave)

Nicolas de Novembre : « Tu as vendu tes yeux au grand marché des couleurs corrompues… Je t’avais imaginée papier blanc, des tâches d’encre parsèment ton corps.

Je t’avais rêvée pure, des ombres nagent déjà sous les eaux claires. J’avais tiré de mes angoisses une fée auréolée d’intentions naïves, te voilà sorcière. »

Anna : « Peut-être ne suis-je que moi-même. »

*

(Stanz)

(place d’armes)

Le chant atroce des comptables attablés le dévore.

L’effroyable impuissance des gens à le faire rêver l’avale. La divine banalité prônée par les mortels l’accable. Les gens jouent la symphonie de l’hypocrisie et il tourne, sur lui-même, imitant le mouvement de l’éternité, hurlant des hymnes à la liberté.

*

À la musique

(Aubry-du-Hainaut)

(espace vert)

Tandis que les bourgeois fêtent l’arrivée de la tristesse, sans qu’aucune fêlure ne vienne parsemer leur monde égoïste, Rose joue la mélodie de la pluie. Bordée par les émanations musicales, la verdure semble se reposer dans un lit de ronces. Les doigts de Rose qui courent sur le piano murmurent des rêves. Le monde autour d’elle est gris mais zébré de fausses couleurs. Un miroir est posé devant le piano, et le regard de Rose est enchaîné à ses propres yeux, captive du miroir.

Le regard des autres ne l’oppresse plus ; elle approche de la liberté.

Les notes s’échappent de ses doigts, bribes de pureté dans un monde imaginaire.

À chaque note, le monde se refait, comme autant d’affronts et de trêves lancés aux guerres.

Les immeubles deviennent des contes de fées où les enfants règnent en rois ; les nuages prennent la couleur de l’arc-en-ciel.

*

Mélopée

(Philippe)

J’avais caché des vérités (en arrachant une horloge).

J’avais surnommé Diane la déesse du feu. Elle m’avait englouti de cendres amoureuses à coups de magies blanches (en renversant un cendrier). Elle avait fui la réalité pour enfoncer dans mon crâne des paradis verdoyants. Elle avait construit des souvenirs futurs voluptueux. Le présent était un rêve et le futur déjà bâti. J’avais écrit des poèmes qu’elle avait avalé. J’avais imaginé des songes pour envelopper son corps d’éternité. J’avais moi aussi enveloppé son âme des cendres de sa nuit passée.

L’amour était immortel et la nuit si loin…

*

Final

(tous les acteurs)

(rue)

Les fantômes de la société, que l’on croyait oubliés grâce à la transcendance poétique, apparaissent au coin d’une rue. L’un habillé de rayons noirs, à l’allure d’une flèche. L’autre, perché sur ses pensées ignobles le suit avec peine. Une autre encore, juschée sur de hautes chaussures pour manifester la grandeur qu’elle n’a pas, brandit un couteau. Ils se précipitent sur eux.

*

Une heure avant (café)

Espoir

Les violons s’accordaient. Les bouches se rejoignaient sous des paroles entendues. Les âmes se fondaient et la compréhension s’immisçait dans les paroles. Ils parlaient d’oubli, de vapeurs illicites, de chemins épineux vers le bonheur, de calvaires constructifs. Ils parlaient d’aurores à bâtir, de sentiers de vies à reconstruire ; rêves à l’abandon de la raison…

 *

Final

Tous gisent sur le sol, symbole de lassitude et d’abandon paisible.

Verdict

Le prophète s’avance, s’extirpant de son trône délabré

Le penseur est condamné à l’immortalité.

Nicolas est condamné à la banalité.

Stanz est condamné à la folie éternelle.

Philippe est condamné aux regrets.

Pour avoir rêvé…

FIN

…écrit dans l’urgence d’une vie meilleure…

Nicolas De Novembre / Novembre 98

*

Lettre au vide qui murmurait une mélopée le dimanche matin, vers neuf heures

Aux lendemains, quand les masques festifs se fissurent en fragments mornes, et que la lumière murmure encore des regrets à la nuit passée, la plénitude du rien s’installe confortablement aux fauteuils cloutés de la mort. L’arrière-goût d’un amour fuyant s’échappe en langueurs amères vers le ciel blafard.

Certains vont à la messe, d’autres murmurent de doux blasphèmes à la journée naissante.

L’âme d’un chien abandonné gémit encore sur les toits de la solitude. La nuit cachait mes regrets, enveloppait mon visage de couleurs anarchistes. La nuit est à nu et se cache jusqu’au crépuscule. J’avais remarqué, sur les étoiles, des élans de poésies inhumaines que nul n’avait songé d’agripper.

J’avais frôlé, du bout des doigts, des systèmes de pensées différents.

J’ai entendu les « je t’aime » dégarnis des arbres implorant la nuit, les feuilles qui se mêlent dans des ouragans lumineux.

L’âge de la magie noire a maintenant sonné aux portes de la perception. Et maintenant je vous sens, ô vide et t’ai tour compris.

Vous n’existez que dans mes défaites.

*

La Peur

les cheveux glacés

sur leurs plants

algues foudroyées ;

la solitude qui radote

la mort qui étend son voile

par-dessus les yeux lumineux

d’une fillette empoisonnée ;

les monstres prêts à bondir

sur l’asphalte craquelée

l’errance immortelle de la lumière

après l’oubli volontaire

dans les canaux vaporeux

de l’alcool

les demeures putréfiées

qui viennent frôler

les traînées d’avion

la peur qui engloutit les passants ;

la solitude qui bouffe les ombres

pour hurler dans ma tête,

le calvaire agonisant des dernières lueurs :

la peur

*

La mort défigurée

Je marche et je te cherche dans ces bois noirs.

Je cours, peu à peu, affolé

à l’idée d’infinies souffrances.

Des ronces retiennent mes pieds.

Si ton cadavre ne vient pas à moi

je viendrais le chercher.

Plus rien n’existe, sauf ces éraflures

aux relents de ténèbres.

Toutes les étoiles semblent chuchoter

l’hymne

de ma vie perdue.

Des arbres veulent m’enlacer de leurs branches enneignées.

La nuit semble s’affaiblir.

Il fait froid.

Partout dans ce monde, les vivants

s’accrochent à mes pas,

que laissent en suspens l’idée d’espoir.

Et puis l’idée de ténèbres semble s’évanouir :

tu gis, morte, enrobée de certitudes,

sur ce sol

délavé par les illusions mourantes

d’une immortalité.

Je vais me pendre à tes pieds,

au-dessus d’un gouffre.

*

Tueries

le temps est immobile

aux longs pieds de la falaise

Anna en ce jour de deuil

sent le poison

s’immiscer dans ses poumons

elle crache alors des mots

surgis de l’ombre

qui bâillonnent les mortels

elle allume les étoiles une à une

pour fixer le décor et pour parfaire son œuvre

elle implate des comètes

NUIT

Anna cette nuit s’alanguit par souci pour son ennui

pour tuer le temps il faut d’abord tuer les hommes

Anna a très bien compris cela

cueillant des fourches dans l’antre du diable

elle pénètre dans les lumières rougissantes

et s’acharne à détruire les hommes

sombre Marie

quitte ces mornes habits

sombre tourment

déserte cette âme d’enfant

sombre Marie

en ce monde morne et serein

délaisse tes vœux

dans le caniveau

délaisse tes larmes

au seuil de la tristesse

délaisse ma raison

au seuil de ta conscience

sombre Marie

quitte maintenant

ces habits de vivant

et vers le ciel implorant

murmure tes sentiments

*

Cristallisation

ne trouves-tu pas ces baisers vains,

fille noire autour de quoi

rien n’existe ?

j’ai ôté les couleurs de mes yeux

afin de t’aimer tendrement

je suis le bateau échoué

d’entre tes seins

la brume qui navigue

au creux de ta haine

ma chérie

sache

que tu me tronçonnes le cœur

et que nulle brise douceâtre

ne vient baver sur les morceaux

et je te regarde

crétin apprivoisé

me détruire paisiblement

sais-tu que ton mépris m’élève

dans les vapeurs langoureuses

de la haine sinueuse

je pleure mais ne suis pas pluie

au grand dam des symboles

et ma semance est vaine

j’aurais beau chialer

je serais toujours

ce grand port désert

où les bâtiments se taisent, amers

je serai toujours une langueur monotone

*

Dernier regard

son regard qui pleure

dans mon œil qui coule

oh ! je ne sais plus de quoi souffrir !

son regard de coton

son noir chapelet d’ivoire

sa détresse si semblable !

elle me foudroie

comme pleurent ces effets de nuit

au beau milieu du jour

sur la boue de mes souvenirs

Ô cathédrale des sens !

*

Octobre 97

sous les ciels de l’emmerde

aux traînées de gerçures

la neige déshabillait la nuit

de ses ténèbres

et de bars en sommeils

erraient des sentiments

– et quand on comparait

nos univers, tu t’en souviens ? –

j’étais la solitude nacrée

tu m’offrais la brise en baisers

j’étais la mer figée

tu m’offrais des vagues

on apercevait l’espoir

au détour d’une mort

on fuyait la vie

sous des lampions de chimères

*

Depuis l’éternité

c’était une noire forêt où s’étalait la nuit

de tout son long, comme un tapis d’Orient

Shéhérazade disperse ses prières

depuis des millénaires

parmi les saules qui pleurent la défaite du jour

depuis l’éternité, elle rôde

dispensant ses rêves aux alizés

depuis l’éternité

un nid de pleurs reposed’enfant7

dans chaque arbre

et flotte, par-dessus le lac embrumé

son fantôme d’argent

squelette lumineux

et partout où les vérités se perdent

elle sombre, sombre dans des rêves d’enfant

et quand l’aube enfin, narguant la nuit,

louange à la beauté

elle s’endort

*

Renoncement

j’ai été vivre seul

sous de multiples cascades d’or

ensanglantées

par de mystérieux regards

avec ma conscience et quelques vivres

j’irai dans tous les abysses

par tous les chemins

qui ne mènent qu’à l’oubli

jusqu’au seuil de ton amour

où les fleuves de la terre ne coulent plus

faire l’amour à des ombres

et des souvenirs

mon œil nage

dans les eaux folles

de l’océan nuit

mon cœur palpite encore

sur tes rives

j’en suis sûr

j’ai été vivre seul

là où mes larmes sublimes

répondaient à tes échos

lançaient de violents appels

à l’obscurité

tes mots résonnent en mon monde

j’ai été vivre seul

sous des milliers d’horloges vieillissantes

sous les soleils à la traîne

j’ai hérité de la tristesse

*

Recherche d’un murmure

quand elles sont passées

je n’ai vu que des ombres volatiles

se faufilant entre les murs

à la recherche d’un murmure

je n’ai rien su donner

à toutes ces voix

j’ai longtemps cru

qu’elles viendraient me visiter

et depuis que cette bulle de vide m’a englobé

je n’ai fait que chercher quelqu’un pour la crever

*

Le désespéré et l’homme heureux

le désespéré : – ”et ton chemin de vie ?

L’homme heureux : – et ton cheminot hippie ?

– sombre décès :

– sonde, déchet ?

– death to me !

– dance to me ?

– glaciation de l’âme

– glace marron de l’âne ?

– vite, changeons de régime !

– bite, changeons de Régis !

– sale temps pour les artistes !

– sale sang pour les arthrites !

*

Cauchemars urbains

2. ville

en observant les sentiers qui régissent l’âme :

elle fait le compte des solitudes

et les foudroie avant que des images ne jaillissent.

toutes les fenêtres sont des prunelles

qui détectent-régularisent-aliènent les pensées

dans des cocons d’argent

l’étranger à ce tumulte-censure est dévoré

3. aube

ils hurlent leurs sonneries de mort

jusqu’à l’aube qui s’effrite

matin désuet qui jette son corps

baitaille qui m’enivre

et dans leurs animaux d’acier

des contrôleurs vos pensées s’ils vous plaît

mais dans l’arcade qui s’érige

le soleil traîne encore

j’écris en fraude

à la lumière des émeraudes

qui brûlent les écrins moisis

et renferment mes envies

* 

Capitulation

toute en sucreries fades

elle étale sa morne magie

de déceptions magnifiques

qui de tous temps font vivre

noire capitulation

des jeunes et de leurs idoles

noire capitulation

des immeubles pleurent

sous l’œil fou du soleil

fous qui perdent leur lanterne

mais elle se souvient encore

de l’amour et de ses suites

elle se souvient encore

de mes pas sur les pavés

je vis en symbiose avec la pluie

les ombres et les déserts

hors des temps et des lois

et vous aussi pleurerez bientôt

sous l’œil fou du soleil

*

Sonnet

un serpent de lune où rêvent, ô ma torpeur

d’infinies noirceurs aux habits de ferveur

un sifflet de brume au regard d’argile

où soufflent les promesses de souvenirs graciles

l’œil dans l’azur et l’âme en haillons de lumière

l’œil cynique d’un ciel nègre resserre

l’aube aurosée du mal dans mes crinières d’acier

et le repos amer m’a dévisagé

je suis un prince hérétique et froid

fixant les arcs-en-ciel dans les puits enneigés

rivière de souffre sur le fleuve imbécillité

plantant des rêves dans les cercueils fleurissant

les pieux s’érigent impuissants indécents

distinguant le ciel outre mes yeux de trépas

*

Mort

face aux reflets luisants

qui violent l’obscurité

les non-morts s’enchaînent

jouent à se faire peur

à la lumière

de tous les cœurs éteints

et mes doigts bleus

fiévreux comme mon regard

si noir

prennent la couleur

d’un sang trop pur

pour eux

et mes rêves prennent l’odeur

des morts qu’ils m’infligent

tout bas

face à l’enseigne éteinte

et aux pensées qui s’éteignent

et aux mondes qui s’éteignent

l’espoir s’est envolé

comme un grand pavillon rose

on meurt à n’en plus finir

vieux fantômes d’amérique et du monde

jouent à se faire peur

j’ai pourtant osé aimer

la petite fille aux cheveux rouges

en ignorant la couleur

en ignorant ses ardeurs

*

Requiems

1. Je t’aime… moi non plus

une robe de fête

la cuite avec Narcisse

aux flancs du mont vérité

les parties de noyade

avec la belle de l’année

les régressions

du renoncement

à l’innocence

l’espoir qui cuisait

peu à peu

comme carbonisé

par un amour trop fort

l’oubli maladif

le parc et le banc

comme Everest

à ce monde impur

les je t’aime imbéciles

jetés à la face

du penseur solitaire

…moi non plus…

2. Exit music

les parties de trance

sur les guitares mourantes

les nuits blanches

avec les morceaux nocturnes

l’Espoir, encore,

comme un lambeau

parfois je ressemble

aux crachats de charbons

d’une vie-désespoir

à ces grises atteintes

au bout du fleuve

où gisent

ces idoles de ciment

3. Roads

tous les déserts fleuris d’encens

mènent à ma triste vie

où se confondent

déserts urbains

et crachoirs déjantés

j’ai fait patience de la joie

dans des paysages de charbon

et de noires cordes de guitares

retentissent sous mes pleurs

j’ai fouillé les parpaings

la rouille de ces murs

pour y trouver

forêts et gluants océans

on m’a greffé mille

existences

*

Attente

1.

elle est partie,

me laissant seul avec mes tours

sombres et désertes

je l’ai imaginée flottant

au milieu de mes cheveux

des carapaces nocturnes

elles s’est peut-être envolée

un matin moisi

sur des émanations d’irréalités

ou encore

s’est-elle échappée

sur l’orbite de mes désirs

je pourrais si facilement

tomber de sa clarté vacillante

d’un soleil qui se meurt

elle me laisse seul

avec les visages sous la pluie

les statues mornes

sur leurs socles implorants

les fumées de pensées

qui s’échappent de la brume

les spectres de son regard

elle me laisse seul

avec les escapades imaginaires

sous les toits perdus

j’attends un signe

du pavillon de tes yeux

qui me laisserait dans l’espérance

que rien n’est vain,

que les futiles édifices

ne sont pas posés pour rien

2.

je suis un enfant en attente

du rythme des images,

des sanglots de ta voix

laisse-moi lécher tes larmes

comme un chat

comme un chat

et murmurer l’infini

au creux de tes fenêtres

tu ignores ma vie

et ses ascendances

je suis un enfant en attente

de tes sons

de tes couleurs ficitives

et de ta voix éraflée

par les pleurs

3.

je voudrais te subtiliser

l’essence de ton existence

et te la rendre,

magicien morbide, en roses fanées

la nuit a peur

de ma nuit livide

d’ultimes vipères régnant

sur les jours

se frôlent aux gouttières

de ma moralité écartelée

on a greffé

des rêves suants

sur ma peau farouche

*

Décor

on annonce

l’éclat d’un espoir

dans ces rues vides,

striées de passants

comme des veines sur les joues

d’une fillette malade

l’aube aura décortiqué l’horizon

on annonce l’éclat d’un espoir

sur ces hautes demeures

qui tentent de jongler

avec les pluies

ces yeux, possédés

par des sirènes d’égout

ce monde qui agonise

ces enfants de mille ans

parsemés de rides

ces fleurs maladives et mourantes

*

Deuil d’un fantôme

elles sont déjà finies

ces errances incertaines

sur les toits desséchés

et ces yeux de chiens battus

embués et si frêles

font-ils déjà la queue

au royaume des souvenirs ?

et ces lèvres

comme une cigarette incertaine

se consument-elles toujours

au toucher du bonheur ?

elle rejoindra mes rêves

un jour, sur ces bottines irréelles

lorsque la solitude me reviendra

au contact de l’hiver éternel

Nicolas Stanziano pour N. Adriaenssens (1997)

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