Je me réveille secoué par les vagues. Je suis sur une barque en bois qui tangue énormément. Elle a l’air si fragile que je me demande pourquoi elle n’a pas déjà coulé sous mon poids.
Autour de moi, rien, si ce n’est la mer et le ciel qui la surplombe. Un ciel rouge sang, où le soleil et la lune ne font qu’un, formant un nouvel astre suintant la violence et la mort. Et pendant que j’observe cet astre qui m’observe, les vagues se font de plus en plus violentes. Mais paradoxalement, l’embarcation ne bouge pas d’un millimètre, elle reste impassible face à la mer, tout comme l’est la personne qui la dirige face à moi. Un chauffeur, ou un passager également ? Mais le plus perturbant c’est que je viens à peine de le remarquer. Nous deux seuls sur une petite barque qui, bien qu’en apparence ne peut transporter qu’une personne, semble en fait avoir sa définition propre de l’espace. En effet, en observant attentivement, le mètre et demi qui me sépare de mon compagnon, semble s’agrandir au fur et à mesure. Plus le temps passe et plus l’espace se transforme devenant semblable à un grand navire, mais tout en gardant son aspect de barque frêle. Je commence à comprendre pourquoi nous n’avons pas encore chaviré.
Mais maintenant que j’ai un peu plus confiance en mon véhicule, mon attention se porte sur l’autre passager, ou chauffeur, je ne sais pas… l’autre personne en tout cas.
Je crois voir un homme, vieux, très vieux, ou en fait plutôt jeune, je ne sais pas car son visage est… inexistant. Il, il n’a pas de visage, ou plus exactement sa tête entière est sombre, tellement sombre que l’on n’y voit rien, un peu comme un trou noir qui empêche même la lumière de s’échapper. Mais aussi bizarre que cela puisse paraître, bien que son visage soit invisible, ou plutôt imperceptible, je vois en lui tournoyer des centaines de milliers de visages. Comme si cette absence de visage est pour lui l’occasion d’en avoir plusieurs et d’en changer à son bon vouloir. Ou alors simplement qu’aucun visage ne lui est nécessaire et que je suis le seul à voir ses nombreux visages, pour qu’il puisse me paraître plus humain et que je n’aie pas peur de lui ?
Mais son problème de visage n’est pas la chose la plus dérangeante chez lui, il semble presque mort. Enfin pas mort, disons plutôt pas vivant. Voilà c’est une absence totale de vie qui se dégage de lui. Capuché et revêtu d’une immense robe sombre, il me fixe, là, sans bouger. Alors je le fixe aussi, et c’est un sentiment de malaise qui vient remplir notre chaloupe. Plus je le regarde et plus il me regarde. Plus il me regarde et plus je le regarde. Et plus je le regarde et plus le temps environnant semble ralentir jusqu’à se stopper, comme embourbé dans notre jeu de regard malsain. Je ne parle pas, il ne parle pas. je n’arrive pas à parler pour lui demander qui il est. Alors je fais un pas vers lui. À la suite de ce pas, le petit bateau s’allonge d’un coup pour atteindre quelque chose comme les 200 mètres le long, me retrouvant à l’une de ses extrémités avec mon nouvel ami à mon opposé. Alors une voix rauque se fait entendre en même temps que, de l’autre coté du bateau, je sens son regard me foudroyer.
« Un drachme. »
Un drachme ? C’est quoi un drachme ? Mais bizarrement je sors alors inconsciemment de ma poche une pièce en or que je lui tends. Le large bateau se ressert soudain pour redevenir notre petite barque. Il prend ma pièce, puis se retourne, ne me laissant apercevoir que son dos.
La barque se met alors à avancer, ce qui me fait m’apercevoir, qu’avant tout ça, et malgré les vagues, nous n’avions absolument pas bougé. Mais maintenant que nous bougeons, où allons-nous ? Car je ne sais toujours pas où je suis. L’autre ne m’a rien dit sur notre destination, mais il a quand même l’air déterminé à y aller. D’ailleurs mon chauffeur n’a toujours pas de nom, il n’a pas de visage. Il lui faut au moins un nom. Dorénavant, petit chauffeur tu t’appelleras Alice.
Maintenant que je suis parti et que mon chauffeur a un nom, je ne peux rien faire d’autre que de contempler les alentours puisque je suis toujours incapable de parler. La lune et le soleil ont fusionné pour laisser apparaître dans le ciel onze, non douze nouveaux soleils et nouvelles lunes. Par moment, une lune rigole à pleines dents quand un soleil cligne de son immense œil pour ensuite disparaître et revenir plus nombreux. Leurs rayons éclairent la surface de l’eau qui entre temps vacille entre vagues assassines et calme plat. J’observe alors les profondeurs de l’eau pour me rendre compte que l’eau n’en est pas, que c’est est du sable, du sable aux couleurs de l’eau.
Alice et moi naviguions donc en fait depuis le début sur un immense désert aride.
Tout cela prend encore moins de sens quand je remarque que dans l’eau, ou plutôt dans le sable, nagent plusieurs corps décharnés et squelettiques. Des corps humanoïdes qui n’ont plus rien d’humain. J’arrive seulement à reconnaître une personne ressemblant à Gandhi affûté d’un manteau de soldat SS.
Et entre tous ces corps se balade tranquillement quelque chose horrifique que je classe très nettement dans la catégorie « Monstre ». Des espèces de plésiosaures, et de petits lézards ayant l’air venimeux, en fait différentes sortes de reptiles avec des écailles. Alors, pour moi, ce sont des reptiles. Ils se faufilent tels des serpents malgré leurs taille énorme pour certains, et quand je dis énorme, je parle de reptiles assez grands pour couler cinquante barques comme la mienne. Je suis content qu’ils ne nous repèrent pas car pour rien au monde je ne veux avoir à faire face à eux. Je décide de les oublier un peu et retourne observer le ciel.
Sage décision que j’ai pris, me dis-je, avant de voir que ces foutus lézards nagent au-dessus de moi. En effet, ils nagent dans le ciel. L’un d’eux s’approche du soleil d’ailleurs. Et hop, il brûle. Bien sûr que je m’en réjouis, comme si je vais avoir de l’empathie pour un truc capable de me gober tout entier sans la moindre difficulté. La mort du monstre fait chuter son corps vers le haut pour s’écraser sur un nuage qui devient de magnifiques petits tanks ailés. L’un des tanks, d’environ 15 centimètres de hauteur, va directement faire son nid sur le sable. Il se pose à sa surface et se métamorphose en un arbre bleu si grand qu’il réussit à atteindre une des lunes. Mais gênée de cette intrusion à son égard, la lune repousse cet arbre pour le faire pousser dans la mer. L’arbre fait alors demi-tour pour aller se réfugier au plus profond de l’océan.
L’une de ses branches se heurte à un bar qui se trouve dans le sable. Lézards et cadavres se mélangent sans distinction d’écailles. Un cadavre sans jambe mord un reptile qui réplique en lui déchirant la tête d’un seul coup de dents. Ceci fait bien rire tout le monde, et surtout le barman qui se sert du tabouret anciennement occupé par le cadavre pour se faire un nouveau bras, ce qui lui en fait un neuvième en plus de ses treize jambes et deux têtes entièrement constituées de reste de clients recomposés.
Mais trêve de monstres et de barman, mon attention est redirigée vers la surface.
Alors qu’Alice est toujours là figé comme depuis le début, j’observe au loin une immense cathédrale, une cathédrale aux os apparents d’où la peau a été minutieusement enlevée. En fait, à bien y regarder, il n’y a pas une cathédrale, mais plusieurs. C’est un véritable cimetière de cathédrales, et nous commençons à rentrer dans l’une d’elles via une fenêtre brisée d’où peut passer notre embarcation.
À l’intérieur la vie grouille comme des insectes. Des milliers de petits insectes aux airs humains, mais ne dépassent pas le mètre vingt chacun. Ces bêtes sont recouvertes de chair putréfiée et de cloques. La très grande majorité est courbée et ressemble à de vrais petits démons que ce soit dans leur physique ou dans leurs comportements.
Sur les bords de la route plusieurs attroupements ont lieux. On ne sait pas si ces bêtes s’accouplent ou sont en train de s’entre-dévorer.
À un croisement, la barque tourne pour nous faire emprunter une avenue de la cathédrale marquée d’un nombre si grand de croix qu’il m’est impossible, même approximativement, d’en dire le nombre.
Des insectes au squelette apparent ont remplacé le christ sur les croix, et des chimères indescriptibles sont venues fêter leurs louanges. À côté d’une des croix se trouve un homme à l’allure d’un noble, mais sans le domaine qui va avec, assis sur une chaise en bois faite de suppliciés des enfers. À ma vue il se lève et accourt vers moi. Mais au moment de me toucher, Alice s’interpose et le fait reculer. Je crois que ce sera la première fois que je verrai Alice bouger.
Une fois que le noble s’éloignera, Alice repartira en marchant vers l’avant du bateau. Alors je contemplerai le noble qui se mettra à rire de vive voix, ce qui attirera les nombreux démons autour de lui qui viendront tous le dévorer en chœur. Soudain, je me rendrai compte que je commencerai à penser au futur. Sera-ce à cause de ce noble ? Je n’en aurai aucune idée, mais je constaterai que cela sera très énervant pour m’exprimer.
Heureusement nous quittons enfin la cathédrale et ses étranges habitants. Je remarque qu’une fois les portes franchies, le futur est resté là-bas, pour mon plus grand plaisir.
La cathédrale disparue très vite de mon champ de vision pour laisser de nouveau place à la mer de sable ainsi qu’à une pluie de cendres qui ne semble pas déranger Alice le moins du monde.
À certains endroits, les cendres dessinées forment sur le sable comme des personnes immobilisées, prisonnières de cette pluie le temps de mon passage. Au loin, les cendres laissent apparaître une immense montagne qui semble ne pas être atteinte par la pluie. Tandis qu’un cerf, lui, attire vraisemblablement l’intégralité des cendres. En effet dans un rayon de deux mètres autour du cerf, toutes cendres tombantes changent immédiatement de direction pour aller se coller sur le cerf, comme s’il était plus puissant que la gravité elle-même.
Ce cerf cendré se dirige à présent vers moi, et plus il se rapproche, plus la cendre s’accumule sur lui. Mais cet excès de cendres ne le déforme pas, simplement il grandit proportionnellement au niveau de cendres qui s’abat sur lui.
À force de se rapprocher, il est, à un moment, si proche de l’embarcation que je suis capable de le toucher. Je peux le toucher, en fait non, il me touche, et même il traverse l’embarcation comme si elle n’existait pas. Il continue sa route pour aller rejoindre un petit attroupement qui se trouve derrière moi et que je n’ai pas encore remarqué.
Trois grands soldats en armure médiévale sont là, assis autour d’un feu de camp éteint, attendant je ne sais quoi. Après quelques secondes, le cerf finit par rejoindre le centre du feu de camp pour devenir le feu lui-même. Il s’allonge au milieu, et une immense flamme de plusieurs mètres de haut apparaît pour ne devenir, à peine quelques instants plus tard, qu’une vulgaire flamme devant laquelle les soldats semblent vouer un culte puisqu’ils bondissent tous les trois dessus pour tenter de protéger la flamme du vent qui menace sa pérennité. Un vent absent pourtant, mais qui semble être le plus grand ennemi de ce feu sacré.
La flamme pour rester en vie se propage sur les trois soldats qui prennent immédiatement, et entièrement feu. Néanmoins, cela ne semble pas les déranger du tout puisqu’une fois cela fait, les soldats repartent s’asseoir autour du feu comme si de rien n’était, ignorant même le fait qu’ils sont en train de brûler vif.
Ils ne semblent pas du tout craindre leur propre mort. Ils sont rassurés que la flamme survive même au péril de leur vie. Et pendant que le feu de joie bat son plein, mon embarcation continue sa route. Alice ne semble pas être surpris de ce dont nous avons été témoins, restant impassible comme toujours, enfin, je présume, puisque je le vois de dos comme toujours. Peut-être pleure-t-il en ce moment de la mort de ces trois guerriers, ou peut-être s’en réjouit-il ? Qui sait ? Quoi qu’il en soit je n’ai pas le temps de réfléchir bien longtemps à tout cela car le sable laisse place à un immense champs de fleurs.
À perte de vue, des higanbana, et au milieu de ça des personnes âgées se baladent, des tas de vieux partout. Quand je me concentre sur un seul couple, les autres disparaissent immédiatement, comme si, malgré la présence d’autrui, ils étaient seuls, seuls dans leur jardin. Je remarque d’ailleurs que chaque couple est raccordé par un bout de cordes. Parfois attaché au niveau du bassin ou du poignet, chaque couple est lié, de sorte que si l’un se perd dans ce champs l’autre est là avec lui.
Et parmi tous ces couples, il y a un vieil homme seul en fauteuil roulant qui semble contempler les fleurs. À notre passage, il quitte son fauteuil pour se tenir droit, fixant toujours les fleurs, accompagné d’une immense faux bien plus grande que lui. Il est affublé d’un sourire terrifiant que j’arrive à distinguer alors que nous sommes assez loin de lui. Mais pourtant je le vois sourire. Gehrman sourit, j’ignore comment je connais son nom mais je le connais. Puis, presque aussi instantanément qu’il est apparu, le champ disparut pour de nouveau nous faire naviguer sur le sable. Alors j’aperçois plus loin un pilier gigantesque qui trône au milieu des eaux. Une genre de colonne grecque, comme celle que l’on retrouve au Parthénon. À son sommet, un poète maudit aux scarifications faciales récite l’une de ses écritures :
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
Je ne suis personne
J’ignore quel genre de cyclope il veut faire fuir, mais il reste là, à trôner en maître au milieu de l’océan. Un océan qui d’ailleurs semble s’éloigner, oui il s’éloigne, ou plutôt nous nous éloignons de lui pour maintenant naviguer bien au-dessus de lui.
Nous naviguons dans le ciel, notre barque est décidément capable de bien des miracles. Barque qui n’en est d’ailleurs plus une, puisqu’elle s’est, sans que je sache comment, changée en montgolfière faite d’os, avec comme toujours Alice à son commandement.
Voilà bien une heure que rien n’est arrivé, et nous volons toujours vers je ne sais où. Je n’ai plus la moindre distraction puisqu’une brume épaisse m’empêche de regarder la mer, et même le ciel semble me bouder, car les lunes et les soleils sont désormais recouverts par un voile de nuages, me laissant seul avec mon ennui et Alice, qui est toujours aussi silencieux.
Quand miraculeusement, la brume décide de se dissiper à un endroit, je vais enfin pouvoir combler mon ennui. Allez mer, montre-moi de quoi tu regorges ! Mais à ma plus grande surprise, ici l’eau n’est pas remplie de cadavres et de monstrueux lézards, mais plutôt d’un tas, d’un TAS, de créatures n’ayant pour visage qu’une énorme mâchoire.
Ces créatures dépourvues de nez et d’yeux s’entre-dévorent dans une violence presque exagérée, et quand il n’y a plus personne à manger, elles se mangent elles-mêmes. Je suis quand même surpris d’apercevoir un cadavre humain flotter parmi elles. Je suis presque content de le voir, avant de remarquer qu’il s’agit du poète croisé plus tôt. Visiblement son pilier et son incantation ne l’ont pas protégé. Je comprends alors pourquoi, en voyant ces créatures, nous avons emprunté le chemin des airs, car ici la mer est bien trop dangereuse, même pour Alice.
Oui heureusement que nous sommes en l’air, malgré ce foutu brouillard. Brouillard ? Brouillard qui s’ est lui aussi dissipé pour nous révéler ce qu’il cachait, des milliers d’yeux énormes me fixent. Peu importe où je regarde, ils me fixent. Ça en devient même plus effrayant que les monstruosités d’en bas.
Mais je ne sais par quel miracle, c’est à ce moment que le dirigeable décide de redescendre, m’éloignant de ces maudits yeux jugeurs.
Une fois redescendu sur le plancher des vaches, la montgolfière revint à son état initial de barque fragile. Mais je ne sais pas si cela m’enchante vraiment car à peine quelques mètres parcourus et voila que plusieurs personnes prient en direction d’un crocodile pendu que l’on a décapité. Sa tête d’ailleurs traînait encore là, à seulement deux pas du corps, et elle était déjà infestée de mille-pattes.
Quand soudain, l’un des fidèles a une idée de génie, en prenant la tête du crocodile pour se l’enfiler sur la sienne, devenant un nouveau dieu que les fidèles s’empressent de prier. Vexé d’avoir été remplacé, le crocodile sans tête se défait de ses liens pour aller affronter ce nouveau dieu afin de laver l’affront et le déshonneur qu’il vient de subir. Un combat enragé débute alors.
Le nouveau dieu se sert à merveille de sa tête nouvellement acquise en utilisant sa mâchoire à la perfection comme si elle avait toujours été sienne. Le crocodile quant à lui se maintient debout sur ses pattes arrières se servant de sa queue comme moyen de propulsion pour se jeter sur l’imposteur. Une fois les deux dieux à terre, le crocodile tente de dévorer le voleur, mais sans sa tête il n’en a pas la capacité. Le nouveau dieu a alors l’occasion parfaite de contre-attaquer, mais les mille-pattes qui ont élu domicile dans la tête du reptile ont décidé d’agrandir leur foyer grâce à la tête initiale du nouveau dieu. Le nouveau dieu se fait alors dévorer la tête de l’intérieur par les différents insectes. Pendant ce temps-là, les fidèles ne sachant vers quel dieu se tourner, se suicident tour à tour, du fait du trouble s’étant créé en eux et de leur incapacité à choisir qui vénérer.
Après plusieurs minutes, le dernier fidèle est mort noyé dans le sable, tandis que le nouveau dieu continue de se faire grignoter par ses nouveaux parasites. Le crocodile quand à lui, s’est vidé de son sang. En même temps, il n’avait plus de tête, c’était donc à prévoir. Son sang s’écoule dans la mer et fait office d’engrais surpuissant puisqu’à chaque endroit où passe le sang, des dizaines de petites fleurs éclosent. Alice et moi quittons cet incroyable affrontement pour nous diriger vers un chemin surplombé par des géants assis sur leur trône.
Ces géants, d’anciens rois déchus, sont bien plus grands que les cathédrales précédemment visitées. Ils ne sont plus que des tas d’os docilement assis sur leur trône, seul reste de leur gloire passée. Des sièges constitués de leurs différentes conquêtes passées qui les ont amené à s’élever au rang de roi. Certains rois ont encore sur eux leur couronne, symbole de leur puissance. Ceux qui n’ont plus la leur, s’en sont fabriqué une en récoltant les déchets qui trônent à leurs pieds. Est-ce pour tenter de faire encore bonne figure malgré leur état cadavérique ?
Les rois se succèdent sans jamais en finir. Mais combien de rois y a-t-il ? Peut-être sont-ils tous ici ? En tout cas notre traversée continue sous le regard vide de ces anciens despotes. Après plusieurs heures entourés par ces rois, la fin pointe le bout de son nez. Une fois le dernier roi passé, Alice arrête la barque pour en laisser passer une autre. Celle-ci n’a, à première vue, pas de capitaine tel qu’Alice, mais un homme d’une trentaine d’années aux cheveux longs, à la barbe hirsute et aux yeux fous, crucifié et hurlant à la mort. Son corps est recouvert de cicatrises et de brûlures, et il semble diriger son embarcation par l’intensité de ses cris.
Derrière lui se trouve, dans une cage en bois assez rudimentaire, un pape décadent couvert d’or et de bijoux, fixant son meneur avec idolâtrie, le suivant aveuglément sans se poser de question et ne remarquant même pas la prison de bois dans laquelle il est.
Une fois les deux hommes passés, la barque ne redémarre toujours pas. Après plusieurs minutes d’attente immobile, Alice se retourne vers moi me laissant découvrir un nouveau visage, celui d’Arnold Böcklin. La découverte de ce nouveau visage fait apparaître derrière lui une île couverte d’arbres et entourée de falaises. Et pour la première fois je me sens capable de bouger.
Je me mets alors debout, mais pourquoi ? Certes je suis capable de bouger, cependant je suis toujours sur une barque entourée par l’océan, et l’île est à une vingtaine de mètres de moi donc impossible de sauter jusqu’à elle.
Comment faire ?
Que faire ?
Je suis tout seul perdu au milieu de l’océan et toujours fixé par Alice. Toujours incapable de parler je ne peux que penser : « Aide-moi au lieu de rester là sans bouger, imbécile ! Tu m’emmènes sur une barque pendant des heures pour me laisser là sans rien pouvoir faire entouré d’eau?! » D’eau ? De sable en fait, je ne suis pas sur de l’eau mais du sable alors je dois pouvoir marcher dessus ! Mais c’est bien sur ! Ni une ni deux je saute à pieds joints sur le sable environnant qui se comporte à nouveau comme de l’eau me laissant tomber dans l’océan. Me voilà tout seul dans l’eau avec toute les créatures qui l’habitent. Les créatures ?! Je remonte presque immédiatement sur la barque ne voulant absolument pas avoir à faire à tout ce qui se trouve dans cet enfer aquatique. Un soleil au-dessus de moi, ayant assisté à toute la scène rigole allégrement.
Énervé par la situation je décide d’aller voir Alice, mais à peine je l’approche qu’il disparaît comme s’il n’avait été qu’un courant d’air depuis le début. En observant plus attentivement l’île je ne remarque rien qui puisse m’aider. Je suis donc destiné à rester là, prisonnier de ma barque sans pouvoir m’en échapper. Je tente alors une seconde fois de sortir de la barque, mais cette fois pas en m’y échappant telle une bête libérée de son enclos, mais plutôt en marchant simplement comme si tout ça était naturel. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, cela fonctionna.
Me voila donc quittant ma barque, marchant au sommet de l’eau en direction de cette île mystérieuse.
Une fois posé pied à terre, une porte se tient face à moi à quelques mètres de distance. Je m’approche alors vers elle, mais plus je m’approche, et plus elle rétrécit, jusqu’à, une fois arrivé face à elle, avoir la taille d’un bébé. Désespéré, je cherche en vain une chenille pouvant me faire passer la porte, mais rien n’y fait, je suis seul. Après quelques instants de réflexion, je recule alors à un certain niveau pour que sa taille soit de nouveau acceptable pour que je puisse passer. Sauf que c’est toujours le même problème, elle est à la bonne taille, mais je suis quand même à plusieurs mètres d’elle. Même si je tends très fort le bras je ne peux… Ha, bon, alors malgré la distance je suis capable d’atteindre la porte. Très bien, je n’y réfléchis pas plus que ça et je m’y engouffre.
J’arrive alors dans un endroit entièrement blanc, presque vide, si ce n’est l’immense arbre trônant fièrement au centre de l’endroit. Ses feuilles sont un mélange de rose très clair et de blanc. Certaines branches ont des pointes de violet, quand d’autres sont bleues. Au pied de l’arbre plusieurs objets traînent comme des offrandes faites à l’arbre, ou plutôt comme des objets personnels abandonnés avant de partir. En vrac il y avait une boussole, plusieurs vestes, un ours en peluche, une copie de Par-delà le mur du sommeil et même un exemplaire de The hellbound heart. Sur le tronc de l’arbre est gravé un œil entouré d’une main. Je touche alors le symbole qui s’efface au profit d’un masque blanc à l’expression faciale neutre mais possédant trois yeux verticaux. Sur son front est marqué des chiffres
5569249
Alors je comprends. Je prends le masque, je le mets – et je m’endors.
*