Ce recueil, Cette année le loup regarde l’homme droit dans les yeux, publié dans l’élégante et sympathique maison d’édition Molesini Editore Venezia avec une préface de Marco Carmello, est le dernier en date du poète Roberto Deidier. Il a été retenu dans la pré-sélection du prestigieux prix Strega (dans la catégorie poésie), l’équivalent du prix Goncourt en France. Nous avions consacré à Roberto Deidier le numéro 4 de notre revue. Nous publions ici quelques poèmes de Quest’anno il lupo fissa negli occhi l’uomo, inédits en français (dans la traduction de Rodolphe Kasmirak-Gauthier).
*
Tempi di luna e d’intelligenza
Li guarda uscire al gelo della prima ora
Con le mani a coprirsi la gola
E un cappotto pesante coi lembi in volo
Per via di un vento senza voce di qua dai vetri.
C’è silenzio nella casa, c’è l’odore del sonno,
Il sapore incauto della libertà, ma fuori
Si celebra un’altra abitudine mentre passa
Un carro triste le sue insegne sbiadiscono
Nella luce crescente, nel vuoto che si fa
Abbagliante come un pensiero, un’idea, una verità.
In questa spenta sinopia di città,
Da questa stretta porta di silicio.
Il les regarde sortir dans le gel de la première heure,
Les mains couvrant leur gorge
Et un lourd manteau dont les pans volent
À cause du vent sans voix de ce côté-là des fenêtres.
Il y a du silence dans la maison, il y a l’odeur du sommeil,
Le goût imprudent de la liberté, mais dehors
On célèbre une autre habitude quand passe
Un char triste, dont les enseignes pâlissent
Dans la lumière qui monte, dans le vide qui devient
Éblouissant comme une pensée, une idée, une vérité.
Dans cette sinopie terne de ville,
Depuis cette étroite porte de silicium.
*
Come il senso, alla fine, torna al nulla.
Come ogni senso fluisce al proprio nulla.
Raccomandava il buon vecchio di Trieste.
Leggi, leggi, leggi e sempre avrai sorprese.
Proprio lì, in quello stesso verso. Un solo verso.
Un rigo musicale, un rigo appena.
È nella testa un cerchio che non chiude.
L’anello mai fermo al dito. Lì dove un mondo
Penetra e si dissolve, ogni volta.
Su quello stesso verso.
Comme le sens, à la fin, retourne au néant.
Comme tous les sens s’écoulent vers leur propre néant.
Ce que conseillait le bon vieil homme de Trieste.
Lisez, lisez, lisez et vous aurez toujours des surprises.
Là, dans ce vers même. Un seul vers.
Une ligne musicale, juste une ligne.
C’est dans la tête un cercle qui ne se referme pas.
L’anneau jamais fixe au doigt. Là où un monde
Pénètre et se dissout à chaque fois.
Sur ce vers-là même.
*
Qualsiasi animale riconosce
L’incostanza e l’inquietudine di questa casa
Che non abbiamo scelto di abitare.
Questa natura non scritta, questo mondo
Sottratto all’alfabeto più ingordo
Ci osserva ancora da un tempo segreto,
Fa di noi il metro di una ferita.
N’importe quel animal reconnaît
L’inconstance et l’agitation de cette maison
Que nous n’avons pas choisi d’habiter.
Cette nature non écrite, ce monde
Soustrait à l’alphabet le plus vorace
Nous observe encore depuis un temps secret,
Fait de nous la mesure d’une blessure.
*
Antonio Donghi, Gita in barca
Caronte rema, intanto alza lo sguardo
A bocca aperta. Non osserva ma ha sorpreso
Qualcosa o forse qualcuno
In un cielo fuori campo –
Chissà se un uccello ha tentato l’Averno.
Oppure è uno dei fiumi dell’Ade
Che nessuna corrente può smuovere.
Dall’altro lato della barca
Siedono in due, dagli occhi fissi.
A destra con malcelato accenno
Di sorriso, le mani come in preghiera,
Sta lei che fila. Accanto, le braccia
Conserte, più severa, lei che misura.
Seguono entrambe il loro vogatore,
In apparenza ferme come l’acqua.
Vanno da lei che taglia
Il filo di questo racconto.
Charon rame, tout en regardant en l’air,
La bouche ouverte. Il n’observe pas, mais il a surpris
Quelque chose ou peut-être quelqu’un
dans un ciel hors de vue –
Qui sait si un oiseau n’a pas tenté l’Averne.
Ou s’agit-il d’un des fleuves d’Hadès
Qu’aucun courant ne peut déplacer ?
De l’autre côté de la barque
Deux personnes sont assises, le regard fixe.
À droite, avec un début de sourire mal
Dissimulé, les mains en prière,
Se tient celle qui file. À côté, les bras
Croisés, plus sévère, celle qui mesure.
Elles suivent toutes deux leur rameur,
En apparence immobile comme l’eau.
Elles vont vers elle
Qui coupe le fil de ce récit.
*
Per una sinistra abortita
Sorridono, loro, e sorridendo
Ci consegnano all’inferno.
E mentre l’inferno ci consuma
Loro non smettono di sorridere.
Si dice che abbiamo due cervelli:
Ma la salvezza dov’è mai stata?
L’inferno, sicuro, è nella pancia.
Ogni senso è inceppato sui loro
Sorrisi. Non hanno mai risposto
Alle urla che ci hanno sommerso.
E la storia non chiede mai scusa.
La storia non ha mai chiesto scusa.
Pour une gauche avortée
Ils sourient, eux, et en souriant
Is nous livrent à l’enfer.
Et tandis que l’enfer nous consume,
Eux n’arrêtent pas de sourire.
On dit que nous avons deux cerveaux :
Mais, le salut, où est-ce qu’elle est ?
L’enfer, c’est sûr, est dans leur ventre.
Tous les sens sont bloqués sur leurs
Sourires. Ils n’ont jamais répondu
Aux cris qui nous ont submergés.
Et l’histoire ne s’excuse jamais.
L’histoire ne s’est jamais excusée.
*
I cirrocumuli di là dall’ala destra
Mimano la mappa di una città lagunare,
I suoi canali sospesi su un cielo profondissimo.
Più sotto appare la geografia concreta
Di altezze e pianure, macchie d’acqua,
La linea frastagliata di un litorale.
Appare. Tra una condensa e l’altra,
Come un confine che gioca a nascondersi,
Come un’idea vecchia svanita all’orizzonte.
Passa il carrello, domandano qualcosa,
Ma ogni sillaba è sempre più incerta
Come un confine che gioca a nascondersi.
Mi guardo attraversare ponti immaginari
Su quei canali soltanto pensati, mi sperdo
In un dedalo di vapore. Una città
Impalpabile, aerea, attraversa me
E l’oblò non è che un diaframma
Tra il mio respiro e la troposfera.
Les cirrocumuli de l’autre côté de l’aile droite
Imitent le plan d’une ville lagunaire,
Ses canaux suspendus au-dessus d’un ciel très profond.
Plus bas apparaît la géographie concrète
Des hauteurs et des plaines, des taches d’eau,
La ligne déchiquetée d’un rivage.
Elle apparaît. Entre les condensations,
Comme une frontière qui joue à cache-cache,
Comme une vieille idée évanouie à l’horizon.
Le wagon passe, ils demandent quelque chose,
Mais chaque syllabe est de plus en plus incertaine
Comme une frontière qui joue à cache-cache.
Je me regarde traverser des ponts imaginaires
Sur ces canaux simplement pensés, je me perds
Dans un labyrinthe de vapeur. Une ville
Impalpable, aérienne, me traverse
Et le hublot n’est qu’un diaphragme
Entre mon souffle et la troposphère.
*
E di Adriano
Latet anguis in herba. Virgilio
La notte, quando m’alzo per pisciare
E un’ansia tagliente mi offusca
Finché nel bagno la finestra buia
Mi spinge a dirmi: cè tempo ancora.
Anima sempre sola, smarrita
In quesť’immenso giardino dei giorni,
Nell’erba alta, con passo bambino,
Incosciente te ne vai senza difese,
Disattenta, con allegrezza spoglia
Di nulla t’avvedi e non pretendi
Fin quando gioventù resta al suo colmo
E non varchi il valico che scende
A questa notte, a questa cornice
Dove l’alba tarda ad affacciarsi –
C’è ancora tempo, anima vera,
Cosi t’illudo e intanto resto sveglio.
La nuit, quand je me lève pour pisser
Une anxiété aiguë m’offusque
Jusqu’à ce que, dans la salle de bain, la fenêtre sombre
Me pousse à me dire : il reste encore du temps.
Âme toujours seule, égarée
Dans cet immense jardin des jours,
Dans les hautes herbes, d’un pas d’enfant,
Inconsciemment, tu t’en vas sans défense,
Distraite, avec une joie nue
Tu ne remarques rien et ne réclames rien
Tant que la jeunesse est à son apogée
Et tu ne franchis pas le col qui descend
Vers cette nuit, vers ce cadre
Où l’aube tarde à se montrer –
Il reste encore temps, âme sincère,
Ainsi je te trompe, et je reste éveillé.
*
Tigre, tigre, abbagli e bruci
Le foreste della notte:
Che immortale mano, o occhio
Ti fa fiera simmetria?
In che abissi, in quali cieli
Apre gli occhi tuoi di fuoco?
Su che ali s’è lanciato?
Quale mano ha acceso il fuoco?
Con che forza, e con che arte
Sè prestato a darti un cuore?
Con che mani, con che piedi,
Come il cuore t’ha battuto?
Che martello, che catena,
Il tuo istinto in che fornace?
E che incudine, che morsa
Nel terrore della morte!
Giù le lance dalle stelle,
Piange tutto il paradiso:
Può sorridere di questo,
Lui che ha fatto anche l’Agnello?
Tigre, tigre, abbagli e bruci
Le foreste della notte,
Quale occhio ha mai osato
La tua fiera simmetria?
Tigre, tigre, tu éblouis et tu brûles
Les forêts de la nuit :
Quelle main immortelle, ou œil,
Te fait la symétrie orgueilleuse ?
Dans quels abîmes, dans quels cieux
Ouvre-t-il ses yeux de feu ?
Sur quelles ailes s’est-il lancé ?
Quelle main a allumé le feu ?
Avec quelle force, avec quel art
T’a-t-il donné un cœur ?
Avec quelles mains, avec quels pieds,
Comment le cœur t’a-t-il battu ?
Quel marteau, quelle chaîne,
Ton instinct dans quelle fournaise ?
Et quelle enclume, quel étau
Dans la terreur de la mort !
Les lances abattues depuis les étoiles,
Tout le paradis pleure :
Peut-il sourire de cela,
Celui qui a créé aussi l’Agneau ?
Tigre, tigre, tu éblouis et tu brûles
Les forêts de la nuit,
Quel œil a jamais osé
Ta fière symétrie ?
*
Quest’anno il lupo fissa negli occhi l’uomo
L’inverno allunga le sue ombre, muta le forme,
Incide le ossa di un gelo implacabile
E nella notte insicura ulula, il lupo,
Digrigna i denti, fissa negli occhi I’uomo.
Cette année le loup regarde l’homme droit dans les yeux.
L’hiver allonge ses ombres, change les formes,
Sculpte les os d’un froid implacable
Et dans la nuit incertaine il hurle, le loup,
Sort les crocs, et regarde l’homme droit dans les yeux.
*
I piccoli oggetti sparsi per casa.
Il cotton fioc scordato sul comò,
La matita in cucina, gli occhiali
E il cellulare chissà dove.
Segnali brevi di passi dislocati.
E tu dove sei adesso? Le geografie
Percorse si sono ormai ridotte
A questo vortice domestico, sottile.
Nulla è più al suo posto. Adesso.
Les petits objets éparpillés dans la maison.
Le coton-tige laissé sur la commode,
Le crayon dans la cuisine, les lunettes
Et le téléphone on ne sait pas où.
De brefs signaux de pas disloqués.
Et toi où es-tu maintenant ? Les géographies
Parcourues se sont réduites désormais
À ce vortex domestique, subtil.
Rien n’est plus à sa place. Maintenant.
*
La sera, davanti al televisore,
Quandoi resti della cena hanno preso
La via della cucina, chiuso il carrello,
I piatti nel lavabo, tu torni
Accanto a me, poggi la testa
Sulla mia spalla e sento come pulsa
La vena della tempia e mi proietta
Nel cuore come batte il tuo cuore
E allora addestro il respiro sul tuo.
Cosi distraggo il tempo che ci assedia
E invento il nostro tempo fino al sonno.
Le soir, devant la télévision,
Quand les restes du dîner ont pris
Le chemin de la cuisine, le plateau rangé,
La vaisselle dans l’évier, tu reviens
Près de moi, tu poses ta tête
Sur mon épaule et je sens battre
La veine de ta tempe qui me projette
Dans ton cœur où bat mon cœur
Et alors je règle mon souffle sur le tien.
Ainsi je distrais le temps qui nous assiège
Et j’invente notre temps à nous jusqu’au sommeil.
*
Di mattina, quando t’alzi presto
Prima che la sveglia sia suonata –
D’inverno la stanza è solo ombra,
D’estate una luce primordiale –
Tu mimi il tuo precedermi nei giorni
Come se i giorni fossero lo scarto
Tra noi due. Ti prego, resta a letto.
Sono qui, rivolto alla finestra
A misurare quanto d’ombra e luce
Negli anni separa i nostri passi.
Più lunga del mio affanno è la tua vita
Che resiste intatta alla fatica
Di saperti un domani senza me.
Perfino il tuo nome è un esorcismo
Refrattario alla noia e al dolore –
Non lasciare l’arbitrio a lei che cuce
E lega a spessa corda il mio destino.
Le matin, quand tu te lèves tôt,
Avant que le réveil n’ait sonné –
En hiver la chambre n’est qu’une ombre,
En été une lumière primitive –
Tu mimes le fait que tu me précèdes au fil des jours
Comme si les jours étaient le fossé
qui nous sépare. Reste au lit, s’il te plaît.
Je suis là, face à la fenêtre
Pour mesurer combien d’ombre et de lumière
Dans les années séparent nos pas.
Plus longue que mon souffle est ta vie
Qui résiste intacte à la fatigue
De te savoir demain sans moi.
Même ton nom est un exorcisme
Réfractaire à l’ennui et à la douleur –
Ne laisse pas l’arbitraire à celle qui coud
Et lie avec une corde épaisse mon destin.
*
Calascionate nella lingua del padre
I’ me penzava fusse n’ata lengua,
’Na mass’e suone stritte, senza peso
Ca saglie e saglie e ’n goppa s’arrevuogghia
Comm’a nu riturnello ’ndispettito
Chella parola attesa, chella sula.
***
Io pensavo che fosse un’altra lingua,
Massa di suoni stretti, senza peso
Che sale, sale e in cima s’aggroviglia
Come un ritornello indispettito
Quella parola attesa, quella sola.
Calascionades dans la langue parternelle
Je pensais que c’était une autre langue,
Une masse de sons étroits, sans poids
Qui monte, monte et au sommet s’emmêle.
Comme un refrain contrarié
Ce mot attendu, celui-là seul.

*
*